Communiqué – SEFAFI –
Depuis le 11 avril (2016)dernier, les greffiers ont mis en exécution leur mot d’ordre de grève. Le service public est donc immobilisé pour une durée indéterminée et sans assurer de service minimum. Ce blocage n’est pas une situation inédite et comme à l’accoutumée, les justiciables la subissent et prennent leur mal en patience, sans être réellement informés des revendications non satisfaites à l’origine de cette grève. Le nouveau Garde des Sceaux a hérité de ce conflit, avec celui des agents pénitenciers, et semble s’y empêtrer car jusqu’à ce jour aucun terrain d’entente n’a été trouvé.
Mais le ministre a également hérité d’un autre dossier autrement plus ancien : la corruption dans la Justice à Madagascar. La révélation du conflit ouvert entre le ministère de la Justice et ses agents est loin d’occulter ce que les justiciables ressentent de plus en plus comme le mal qui gangrène le monde de la Justice et plus largement toute la société à Madagascar.
Une législation inefficace
Pourtant depuis plus d’une décennie maintenant la lutte contre la corruption fait partie du credo des dirigeants successifs. Madagascar a ainsi signé et ratifié différents traités Internationaux, telles la Convention des Nations Unies contre la corruption [1] et la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la lutte contre la corruption [2]. Le 9 septembre 2004, l’adoption de la loi n° 2004-030 sur la lutte contre la corruption et de ses décrets d’application est apparue comme une étape importante avec la mise en place de différents organes et entités destinés à mener la bataille. Et dans la Constitution de 2010, pour la première fois dans l’histoire de Madagascar, l’obligation de déposer une déclaration de patrimoine préalablement à la prise de fonctions, est imposée au Président, aux membres du Gouvernement, de l’Assemblée Nationale et du Sénat [3] ainsi que de ceux de la HCC. Parallèlement, les séminaires et colloques en tout genre pour élaborer des stratégies de lutte contre la corruption ne se comptent plus !
Force est donc de constater que les stratégies adoptées, les structures mises en place s’avèrent platement inefficaces. La lutte contre la corruption est loin de connaitre les prémisses d’une amélioration dans notre pays. En 2015, Transparency International a révélé le classement mondial de Madagascar au 123ème rang sur 168 pays avec une note de 28/100. Si le nombre de pays ayant réussi à améliorer leur score a connu une progression, Madagascar fait hélas partie de la minorité pour laquelle la perception de la corruption s’est aggravée.
Pour une déclaration de patrimoine efficace
La corruption dans le monde de la justice est des plus décriées. Pour la prévenir, les magistrats ont été notamment – à l’instar d’autres hauts fonctionnaires – soumis à l’obligation d’effectuer une déclaration annuelle de patrimoine et pour la première fois dans les 3 mois de leur prise de fonction [4]. Cette obligation est maintenue pendant les 2 années suivant la cessation des fonctions de l’intéressé. Pareille mesure étant censée promouvoir la transparence dans l’exercice des fonctions publiques, de garantir l’intégrité des serviteurs de l’État et d’affermir la confiance du public envers les institutions.
Or le train de vie affiché par certains d’entre eux fait douter de l’efficacité du mécanisme. Il existe bel et bien une loi sur l’enrichissement sans cause [5], mais qui la respecte et qui la fait appliquer ? Le SeFaFi s’en était inquiété récemment [6]. Un autre moyen de contourner la déclaration de patrimoine consiste à mettre son argent sur un compte à l’étranger. A ce propos, la législation autorise-t-elle les citoyens malgaches à posséder un compte bancaire hors du territoire national ?
Faut-il rappeler qu’actuellement les déclarations sont remises au BIANCO qui est chargé de les archiver et d’en « assurer la confidentialité » ? Elles ne seront communiquées que dans des cas très limités : à la requête expresse du déclarant ou de ses ayants droits, ou encore à la demande de certaines autorités judiciaires lorsque leur communication est nécessaire à la solution d’un litige ou utile pour la découverte de la vérité. Pour les magistrats, ces déclarations ne seront exploitées que :
1. à la demande du Premier Président de la Cour Suprême, lorsque leur communication paraît nécessaire à la solution d’un litige dont elle a été régulièrement saisie ou utile à la découverte de la vérité ;
2. à la demande du Procureur Général près la Cour Suprême, lorsqu’une plainte a été déposée ou lorsque des informations lui sont parvenues, susceptibles de mettre en cause la ou les personnes ayant effectué ces déclarations ou formulé ces observations [7].
Mais le corporatisme latent au sein de la magistrature achève de réduire à néant l’efficacité du système. Les déclarations de patrimoine sont perçues comme de simples artifices de la bureaucratie et ne peuvent s’apparenter à un mécanisme pour la promotion de la transparence.
Pourquoi alors ne pas ouvrir la possibilité d’une vérification inopinée de ces déclarations par une entité de contrôle ? Cette dernière procèdera à la vérification de la sincérité des déclarations, même en l’absence de toute plainte ou autre litige. Ce contrôle s’avère d’autant plus nécessaire que la déclaration est limitée aux biens et avoirs de l’agent, de son conjoint et de ses enfants mineurs. Cela laisse le champ libre au recours aux prête-noms, et donc à la possibilité de contourner l’obligation légale. Mais chacun sait que la meilleure façon de dissimuler ses biens consiste à les mettre au nom de tierces personnes.
Et pourquoi ne pas rendre publique les déclarations de patrimoine, non seulement pour les juges mais pour tous les dirigeants précités ? Les personnes concernées exercent des responsabilités publiques. A ce titre, elles sont astreintes à la transparence financière au nom de la redevabilité citoyenne. Cette pratique éminemment démocratique est systématiquement mise en œuvre dans les pays scandinaves par exemple. Elle évite tout soupçon de détournement d’argent public ou d’abus d’autorité de la part des dirigeants et permet de reconstruire un certain degré de confiance entre les citoyens et les pouvoirs publics.
Enfin, la publication des décisions de justice apporterait un éclairage sur le travail de la Justice, tant les décisions sur les mêmes faits peuvent varier, selon les « incitations » fournies par l’une ou l’autre des parties. Il s’avère également qu’un crime prouvé et méritant punition se trouve étonnamment impuni. Grâce à la numérisation, il faut mettre tous les moyens au service de la Justice et arrêter de recourir aux mesures timides, facilement détournées et inefficaces.
La mise en pratique de ces mesures nécessitera assurément une mobilisation des ressources humaines et un surcroit de travail. Mais le jeu en vaut la chandelle ! Cela vaut mieux que s’en tenir aux déclarations d’intentions ronflantes aussitôt contredites au quotidien. Par ailleurs, édicter les meilleures lois n’aura aucun intérêt aussi longtemps que les contrevenants ne seront pas sanctionnés. Mais quelle justice se soucie de sanctionner les contrevenants ? Le meilleur exemple en est donné par la mise en place de la « Chaîne Spéciale de lutte contre le trafic de bois de rose et/ou de bois d’ébène » et par la répression des infractions relatives aux bois de rose et/ou bois d’ébène : la loi organique n° 2015-056 ne servira à rien si les hommes et femmes qui composent cette juridiction continuent à bénéficier d’un système favorisant l’impunité.
Antananarivo, 7 mai 2016
SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique
Lot TR 41 Ampahimanga, Ambohimanambola 103
Tél. 032 59 761 62 Email : sefafi@gmail.com Site Web : www.sefafi.mg
Notes
[1] Adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 31 octobre 2003, signée par Madagascar le 10 décembre 2003 et ratifiée le 22 septembre 2004.
[2] Adoptée par la Conférence de l’Union Africaine le 11 juillet 2003, signée par Madagascar le 28 février 2004 et ratifiée le 6 octobre 2004.
[3] Est-ce fait pour le nouveau Sénat ?
[4] Articles 2 et 3 Décret n° 2004-983 du 12 octobre 2004 abrogeant et remplaçant le décret n° 2002- 1127 du 30 septembre 2002 instituant une obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et de hauts fonctionnaires.
[5] Loi 2004-030 du 9 septembre 2004, article 183.1, sur la lutte contre la corruption.
[6] « Pour que le pire ne soit pas à venir… », Communiqué du 12 septembre 2015, dans La mayonnaise ne prend toujours pas, SeFaFi, 2016, p. 76.
[7] Décret n° 2004-983, article 9, du 12 octobre 2004.