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Interview du Ministre de la Justice malgache – Express Madagascar du 31 août 2018

La ministre de la Justice martèle sa détermination à apporter du renouveau dans le système judiciaire en peu de temps. Sur les sujets d’actualité comme le concours d’entrée à l’ENMG, elle confirme des disfonctionnements graves et indique son intention de prendre les mesures qui s’imposeront.

  • Vous affirmez des réformes audacieuses du système judiciaire
    Où est la limite de cette audace?
  • Je suis à la tête de ce ministère depuis trois mois. J’essaie d’amener une nouvelle idée, une nouvelle vision au sein de ce département par mes actions. J’ai, par exemple, mis à la tête de certaines directions du ministère et des établissements comme l’École nationale de la magistrature et de greffes (ENMG), pour la seule raison que j’ai besoin de faire un grand pas vers un renouveau des jeunes, anciens de l’ENMG, mais aussi, ayant poursuivi leurs études à l’ENA (École nationale de l’administration, en France). C’est le cas du secrétaire général du ministère, de mon directeur de cabinet et du directeur de l’ENMG, ainsi que du nouveau directeur administratif et financier qui ont suivi, également, des études à l’étranger.

 

  • Pourquoi ce choix de la jeunesse, d’autant plus avec un parcours académique relativement similaire ?
  • Ils ont fait des concours et ont été reçus dans ces écoles étrangères. Ils ne sont pas restés au niveau des connaissances nationales, mais ont renforcé leurs capacités et compétences au-delà de nos frontières. Je pense que c’est le moment de les mettre à l’épreuve, depuis le temps que les jeunes veulent participer à la vie de la nation, notamment au sein du ministère de la Justice. Tôt ou tard, la relève devra prendre le relais.

 

  • Concrètement, qu’entendez-vous par renouveau ?
  • Sous un angle pragmatique, le renouveau porte sur la manière de travailler. J’essaie, par exemple, de rétablir la discipline au sein du ministère en restaurant la levée des couleurs chaque lundi, en présence de tout le personnel au sein du département. Il s’agit d’affirmer que le renouveau commence par la discipline. On a tendance à oublier que nous devons travailler dans la discipline, le respect de l’éthique et des horaires de travail. L’exemple commence par moi-même.

 

  • Cela voudrait-il de dire qu’une certaine anarchie se serait installée au sein du ministère et plus largement du système judiciaire?
  • Oui on peut dire cela, mais cela concerne toute l’administration, pas seulement le ministère de la Justice. Je pense que ça s’est généralisé depuis quelques années. On a tendance à perdre de vue la discipline, la rigueur dans le travail. J’essaie de rétablir cela à ma manière au niveau du ministère et des juridictions. J’ai effectué des descentes auprès des tribunaux et des Cours dans la Haute-Matsiatra, à Manakara, Farafangana, et dans la région Sava.

 

  • Quelle est la raison de ces descentes ?
  • Il s’agissait de faire part de mes directives concernant ce renouveau dans la manière de penser, de travailler et surtout, compte tenu de tous les reproches contre la Justice, notamment, en matière de corruption. J’ai fait part de ma pensée, de ma vision, donné des recommandations et des directives accompagnées de circulaires auprès de toutes les juridictions afin de renforcer la lutte contre la corruption et accélérer le traitement des dossiers auprès des tribunaux Il faut aussi chercher des solutions au nombre élevé du ratio des détentions provisoires. À partir de maintenant, la manière de travailler doit changer pour résoudre tous ces problèmes, que ce soit au niveau des juridictions ou des centres de détention.

 

  • Dès votre entrée au ministère, vous aviez dit que vous ne seriez que pour un temps limité. Aviez-vous alors fixé un deadline pour obtenir des résultats correspondants au renouveau que vous souhaitez ?
  • Effectivement, on doit toujours fixer un deadline. À chaque réunion avec le staff du ministère et lors de toutes les tournées, j’ai fixé. Au niveau central, par exemple, j’ai fixé des délais très précis pour l’exécution des travaux par chaque direction compte tenu des priorités. Comme vous l’aviez dit et je le répète toujours, nous n’avons que très peu de temps, donc, le deadline c’est aujourd’hui et pas demain. Tout ce qu’on peut faire aujourd’hui, on le fai Il faut solutionner les problèmes, aujourd’hui. Certes, ils sont nombreux, mais il faut être proactif, trouver des solutions et ne pas se dire qu’on est le fruit de ce qui existe. C’est le rôle et le devoir de chaque responsable.

 

  • Pourrait-on avoir des exemples précis sur ces échéances que vous aviez fixées ?
  • Lors de la réunion des chefs de juridiction, à Ambohimanambola, dernièrement, nous avons fixé, par exemple, que le traitement des dossiers urgents en instance doivent se faire en trois mois. Y compris et surtout, les affaires de kidnapping qui doivent être traitées dans un temps précis, mais aussi, en temps réel. C’est une directive appuyée d’une circulaire. La tenue des Cours criminelles ordinaires doit, du reste, s’accroître dans l’immédiat par les chefs de Cour.

 

  • Quelles seraient les éventuelles conséquences pour les responsables qui n’arriveront pas à atteindre les objectifs dans les délais impartis ?
  • Évidemment, les mesures doivent toujours passer par des étapes. Certes, j’ai dit que la machine est en marche. Ceux qui ne peuvent pas suivre, ou qui n’ont pas la motivation nécessaire, qu’ils quittent le train. J’ai toujours dit ça. Ceux qui veulent marcher avec moi pour atteindre ces objectifs en un temps record, qu’ils travaillent, fassent preuve de leur diligence et de leur détermination à réaliser ces travaux dans les délais impartis.

 

  • Qu’allez-vous faire alors ?
  • Des mesures devront, certainement, s’imposer pour ceux qui n’y parviendront pas. Cela n’attendra pas longtemps. Après deux mois, au plus tard, vous verrez qu’il y aura des mesures. On pourrait peut-être remplacer ceux qui sont défaillants, ceux qui ne peuvent pas suivre ou qui n’en ont pas la volonté, comme j’ai toujours fai Je pense que c’est logique et normal.

 

  • Avec le rythme que vous imposez, n’y aurait-il pas un risque que le travail des juridictions soit bâclé ?
  • Je ne pense pas, parce que j’en ai fait l’expérience. Je suis en place depuis à peine trois mois et je pense que tout est possible si on a la volonté. Ce n’est pas obligé que les travaux soient bâclés. Avec la volonté on peut faire beaucoup de choses en peu de temps Je n’ai pas été formée pour être ministre, mais, lorsque j’ai pris les rênes de ce ministère j’ai constaté qu’on peut faire beaucoup de choses en peu de temps.

 

  • De manière concrète, quels sont les résultats que devront apporter ce renouveau que vous souhaitez?
  • Je voudrais d’abord faire remarquer qu’il y a des choses que l’on ne peut pas faire en un temps record, comme le changement de mentalité. L’essentiel, je pense, est de donner l’exemple et d’avancer. Ce n’est pas parce qu’il est impossible de changer les mentalités en peu de temps qu’on ne doit pas avancer. J’essaie de poser des bases en donnant l’exemple et je pense que les autres vont me suivre. Concernant la lutte contre la corruption, par exemple, je ne suis pas la première à en faire mon cheval de bataill J’ai, par contre, ma manière à moi de mener cette lutte.

 

  • Comment ?
  • Dès le début, j’ai dit que le temps où je serai à la tête du ministère de la Justice, je ne tolèrerai aucune forme de corruption. Et j’ai agi tout de suite, par exemple, concernant le concours d’entrée à l’ENMG. Cela fait couler beaucoup d’encre, mais l’essentiel pour moi est que j’ai agi. J’ai pris les mesures qui s’imposent et à ma portée. Après les doléances et demandes de confrontation de copies, les constats effectués par voie d’huissier, les comptes-rendus qui me sont parvenus de la part des responsables des concours, des présidents de jury, des remarques et observations des partenaires, j’ai tout de suite agi en ordonnant la suspension des concours. J’ai directement saisi le Bureau de coordination et de contrôle des juridictions (BCCJ), qui est en pleine investigation en ce moment.

 

  • Des investigations sur quel motif ?
  • J’ai mandaté un directeur du BCCJ et son équipe pour effectuer, sans attendre, des investigations auprès de l’ENMG en matière de dysfonctionnement et d’anomalie administrativ Les résultats de ces enquêtes sont prêts. S’agissant d’investigations, elles sont, toutefois, encore secrètes. Mais elles concernent la constatation de toutes ces anomalies et dysfonctionnements. Il ne s’agit pas de simples dysfonctionnements, mais de dysfonctionnements et d’anomalies très graves.

 

  • Vous auriez, également, saisi le BIANCO ?
  • J’ai, aussi, saisi le BIANCO (Bureau indépendant anti-corruption), pour suspicion de corruption. S’il y a des dysfonctionnements graves qu’on a constatés au niveau du ministère de la Justice par le biais du BCCJ, c’est qu’il pourrait y avoir, derrière, de la corruption. Je n’entre pas dans les détails parce que c’est du ressort du BIANCO. Mais j’espère vivement que les enquêtes vont aboutir de son côté.

 

  • Pourrait-on savoir la nature de ces dysfonctionnements ?
  • Ces dysfonctionnements graves seront révélés par les résultats des enquêtes. Mais, par exemple, au niveau de la confrontation des notes, du codage relatif à la manipulation informatique, par rapport aux appareils de surveillance au QG (quartier général où sont stockées les copies d’examen), qui n’ont pas fonctionnés correctement. Plusieurs procédures n’ont pas été respectées alors qu’elles ont trait à la transparence et la crédibilité des résultats. Vous verrez lorsque les investigations seront terminées. Tous les constats risquent vraiment de porter atteinte à la transparence et à la crédibilité des résultats des concours.

 

  • Sachemine-t-on vers une annulation du concours de cette année ?
  • Je ne voudrais pas me prononcer sur cela maintenant, mais s’il le faut, je le ferai. Les mesures qui s’imposent seront prises dès que les investigations seront terminées. Après les résultats de toutes ces enquêtes, il faut s’attendre à des décisions qui, peut-être, vont décevoir certains. Mais pour l’intérêt de la nation, je pense que je devrais les prendre. Je le dirai au moment opportun.

 

  • Y aurait-il d’éventuelles poursuites judiciaires ?
  • Certainement. Déjà au niveau administratif, c’est certain que des sanctions tomberont.

 

  • Votre intransigeance ne risque-t-elle pas d’entrainer des résistances au sein du système judiciaire ?
  • Lorsqu’on fait quelque chose, il faut s’attendre à tout. De toute manière, j’estime faire tout cela dans l’intérêt de la Justice et de la nation. Quand je dis qu’il pourrait y avoir des gens qui seront insatisfaits, c’est plutôt par rapport aux candidats admis à la présélection, par exemple. Puisque s’il faut décider l’annulation du concours, ils seront certainement déçu Il y a, toutefois, des mesures qu’on devrait prendre en dépit de toute contestation si c’est pour l’intérêt de la nation et pour redorer le blason de la Justice, notamment, au niveau de l’ENMG. Tout le monde devrait comprendre que je ne fais pas tout ça pour moi-même. Que si ce sont les meilleurs qui sont admis à l’ENMG, c’est pour la nation et l’avenir de la Justice.

 

  • Procéder à des remplacements, rajeunir les responsables, ou prononcer des mesures ou des sanctions suffiraient-il à reconquérir la confiance des justiciables ?
  • Je pense que reconquérir la confiance des justiciables est encore un long chemin à faire. L’essentiel, à l’heure actuelle, est que les justiciables aient conscience qu’on essaie de faire quelque chose de palpable, comme l’effort d’assainissement des concours, ou les mesures au niveau des juridiction (…) Par rapport aux magistrats, je vous assure que tous commencent à faire attention dans leur manière de travailler et par rapport à la corruption, parce que j’agis tout de suite. Une directive que j’ai donnée, par exemple, est l’accélération de tous les dossiers en instance et qui devraient arriver au niveau du conseil de discipline. Que ce soit pour les magistrats, les greffiers et les agents pénitentiaires. J’ai donné un délai d’un mois pour que tous les dossiers en instance soient portés devant le conseil de discipline.

 

  • Les vindictes populaires seraient les conséquences des failles de la Justice…
  • Un atelier multisectoriel sur ce sujet s’est tenu à Sambava. L’implication des autorités locales, à tous les niveaux, a été décidée. Dans sa traduction en malgache, « Fitsaram-bahoaka », est pour moi fausse, car cela veut dire qu’il y a une anarchi Nous sommes dans un État républicain, il y a des structures habilitées à rendre la Justice. Il y a, effectivement, des problèmes. Parmi ceux-là, il y a, certainement, la corruption, je n’en doute pas. Mais il y a, également, l’incompréhension de la population vis-à-vis des arcanes de la Justice.

 

  • Que proposez-vous pour y remédier ?
  • Quelle que soit la décision rendue, cela n’est pas facile pour le juge, à cause de cette incompréhension. J’ai alors, recommandé aux magistrats d’approcher le peupl Il y a, toutefois, certaines choses qui ne correspondent pas aux attentes du peuple. Il y a en malgache les mots « Rariny », que je traduis par justice et équité, et « Marina », qui pour moi est la légalité. Souvent, ces deux concepts ne coïncident pas. C’est pour cela que les juges ne doivent plus se cacher entre quatre murs du tribunal et essayer plutôt d’expliquer les choses de manière claire et simple à la population. Il faut, aussi, vulgariser les textes puisque pour moi, les vindictes populaires sont des meurtres collectifs.

 

  • Les dénonciations d’ingérence dans les affaires judiciaires ont entraîné un bras-de-fer entre le Syndicat des magistrats et le pouvoir exécutif. Comment gérez-vous la dualité entre indépendance de la Justice et respect de la politique étatique et de la hiérarchie au sein de l’Exécutif ?
  • Je tiens, d’abord, à dire qu’avant d’être ministre je suis magistrat Être membre du gouvernement n’enlève pas cette qualité. Ensuite, je ne suis membre d’aucun parti politique. Il est, toutefois, vrai que c’est le président de la République qui a décidé ma nomination. Effectivement, il y a cette dualité à tenir compte. Je suis magistrat et membre du gouvernement. Il y a forcément un aspect politique puisque je dois respecter la politique générale de l’État. Je me garde, toutefois, de donner d’ordre à un magistrat. Je ne l’ai jamais fait depuis ma nomination, même à ceux du ministère public. Ce que je fais, néanmoins, est d’interpeller ou de conseiller lorsque des doléances ou des suspicions me parviennent.

 

  • Vous n’interviendrez-donc jamais dans une affaire judiciaire…
  • Je n’interviens pas, encore moins parce qu’il y a un ordre d’un tel ou un tel. Je n’ai, d’autant plus, pas encore reçu un quelconque ordre de quiconque. Si mon intervention dans une affaire s’avère nécessaire, ce ne sera qu’en cas d’illégalité flagrante de la part du magistrat. Cela ne concernera, toutefois, que les magistrats du Parquet, en vertu du principe de la subordination hiérarchique. Je n’interviendrai jamais auprès d’un magistrat de siège parce que je n’en ai pas le droit, même s’il y a un flagrant délit d’illégalité. Je ne ferai qu’interpeller et rappeler les règles et ses responsabilités.

 

  • Qu’en est-il des revendications des syndicats des corps du système judiciaire?
  • Vous constatez peut-être que le ministère de la Justice a été calme et serein. La raison est que je leur ai expliqué, dès le début, que je ne suis ici que pour une durée déterminée. Aussi, je ne donnerai pas et ne promettrai pas ce que je n’ai pas. Je ne suis pas non plus de ceux qui disent « après-moi le déluge ». Aussi, ne signerai-je pas un accord que je sais irréalisable pour vous amadouer et laisser à mon successeur la patate chaude. J’essaie, toutefois, de revaloriser l’administration pénitentiaire, car il faut reconnaître qu’elle a été quelque peu laissée pour compte.

 

Propos recueillis par Garry Fabrice Ranaivoson

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