Dans une célèbre fable de Bernard Mandeville, des abeilles entretiennent la prospérité de la ruche où elles vivent par la corruption. Lassé des différentes plaintes qui montent jusqu’à lui, Jupiter décida de rendre la ruche vertueuse. La corruption fut alors éradiquée mais à quel prix ? N’étant plus motivées par l’appât du gain, les abeilles dédaignèrent le luxe, l’industrie, les beaux-arts, … La corruption disparut mais les abeilles honnêtes étaient toutes pauvres se contentant du « creux d’un arbre ». La conclusion a créé la polémique : « Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits ».
« Les vices privés font la vertu publique ». Si Adam Smith a, depuis, repris cette idée et si elle continue de nous parler, c’est qu’elle possède une part de vérité. Mais alors, pourquoi Madagascar, l’un des pays les plus corrompus au monde, n’arrive toujours pas à s’extirper du gouffre abyssal de la misère ? Ne serait-ce pas parce que chez nous, contrairement à la ruche prospère, les millions de vices égoïstes forces motrices de la corruption, sont d’une grande stérilité publique ?
Dans le Nouveau Testament, Paul de Tarse a popularisé une fameuse formule qui explique mieux que la fable des abeilles le cas malgache : « l’argent est la source de tous les maux ». En 1844, Karl Marx, qui était encore loin d’avoir atteint sa maturité philosophique, écrivit ceci : « un homme peut être laid, mais s’il peut se procurer les plus belles femmes ». Sans argent, un homme ne paut compter que sur ses qualités humaines. Ainsi, conclut-il, l’argent aliène l’homme en portant atteinte à sa nature humaine et en impactant son rapport à autrui. Et chaque homme porte en lui cette maladie, cette passion pour l’argent qui, selon Nietzche, est un avatar du fanatisme religieux : en elle est présent le désir de puissance.
Quand une maladie s’installe et prend racine nous imposant une vie rythmée par ses symptômes que l’habitude a rendu indolores, ses maux deviennent des parties intégrantes de nous-mêmes inconscients et insensibles à la gangrène qui nous pourrit. Cette maladie, par ses manèges à fins de survivance, prend la place de l’essence du malade et parvient à créer l’illusion d’être nécessaire à la survie du malade. Ainsi est décrite la résistance d’une maladie qui, en permanence, nous mine mais qui s’est proclamée nécessaire et indispensable : la corruption.
Quand de l’aveu même des plus fameux concernés, elle est devenue leur gagne-pain quotidien, on doit se rendre à l’évidence : le chemin de la guérison est pavé d’obstacles quasi- infranchissables, de murs incassables dont la destruction nécessite des moyens et des techniques surhumains. On ne jugule pas facilement un fléau qui s’inscrit presque dans notre patrimoine génétique.