En avril 2016, un atelier de renforcement des capacités des acteurs de la chaîne pénale s’est tenu à Tulear, Madagascar. Cet événement, soutenu par le PNUD dans le cadre du projet RED (Renforcement de l’État de droit), avait pour objectif d’améliorer le fonctionnement de la chaîne pénale à travers la formation et la collaboration des magistrats, greffiers, officiers de police judiciaire (OPJ), et autres responsables judiciaires. Parmi les nombreux thèmes abordés, l’importance de la motivation des jugements a occupé une place centrale, mettant en évidence un défi récurrent dans le système judiciaire malgache.
1. Les enseignements clés de l’atelier de Tulear
L’atelier visait à :
- Uniformiser les pratiques judiciaires en matière de procédure équitable.
- Renforcer les capacités des acteurs pour rédiger des jugements conformes à la loi et bien motivés.
- Améliorer la coordination entre les différents acteurs de la chaîne pénale.
Les résultats obtenus incluent :
- Une meilleure compréhension des principes du procès équitable par les participants.
- La mise en place de modèles de jugements en français et en malgache.
- Un engagement renforcé pour une collaboration efficace entre les acteurs de la chaîne pénale.
Le facilitateur de l’atelier, Mme Noro Harimisa Razafindrakoto, ancienne ministre de la Justice et conseillère à la Cour de cassation, reconnue pour son engagement dans la lutte contre la corruption, a préconisé des bonnes pratiques clés pour rédiger des jugements motivés :
- Rédiger en termes simples avec au moins trois phrases de motivation : Les jugements doivent expliquer clairement les faits, le raisonnement juridique, et la décision.
- Éviter l’insuffisance des motifs : Le manque de motivation affaiblit les jugements et ouvre la voie à des contestations devant les juridictions supérieures.
- Assurer la transparence et la compréhension : Une décision motivée renforce la confiance des justiciables dans le système judiciaire.
2. Un jugement symptomatique : l’affaire Ranarison Tsilavo
Malgré les enseignements de cet atelier, l’affaire opposant Ranarison Tsilavo à Solo démontre que les pratiques judiciaires malgaches restent marquées par des décisions non motivées. Dans ce cas précis, Solo, gérant de CONNECTIC et détenteur de 80 % des parts, a été condamné à deux ans de prison avec sursis et à verser 428.492 euros (1,5 milliard d’ariary) à Ranarison Tsilavo, un actionnaire minoritaire possédant 20 % des parts. Le jugement se contente de déclarer :
« Il résulte de preuve suffisante contre le prévenu Solo d’avoir commis le délit d’abus de confiance à lui reprocher. »
Cette absence de raisonnement détaillé crée un environnement opaque qui affaiblit la crédibilité judiciaire et ouvre la voie à des décisions arbitraires.
3. Une allocation contestée des dommages-intérêts
La décision d’attribuer 1,5 milliard d’ariary à Ranarison Tsilavo contredit les principes juridiques fondamentaux :
- CONNECTIC, victime directe ignorée : Selon l’article 6 du Code de procédure pénale, les dommages-intérêts auraient dû être attribués à la société CONNECTIC, victime des présumés abus.
- Pas de préjudice distinct pour Ranarison Tsilavo : Aucun préjudice personnel distinct n’a été établi par l’actionnaire minoritaire.
- Une violation des lois sur les sociétés commerciales : Les bénéfices d’un jugement pour abus de biens sociaux doivent revenir à l’entreprise, et non à un actionnaire.
4. Ignorance des preuves : une justice sélective
Solo avait présenté des preuves solides, qui ont été écartées par le tribunal :
- Signatures des virements : Les 76 virements incriminés, totalisant 3.663.933.565,79 ariary (€1.047.060), ont été signés par Ranarison Tsilavo.
- Factures établies par Ranarison Tsilavo : Il a également émis les factures qui accompagnaient ces virements.
- Validation des comptes : Le commissaire aux comptes Razananirina Bruno, ancien président de l’Ordre des Experts Comptables et Financiers de Madagascar (OECFM), a validé les comptes annuels incluant ces transactions.
5. Les recommandations de Tulear ignorées
L’atelier de Tulear avait souligné l’importance des jugements motivés pour garantir la transparence et l’équité du système judiciaire. Pourtant, l’affaire Ranarison Tsilavo illustre une déconnexion entre les principes enseignés et leur application dans les tribunaux. Cette incohérence nuit gravement à la confiance des citoyens et des investisseurs dans la justice malgache.
6. Un message alarmant pour les investisseurs
Cette affaire met en lumière les risques encourus par les investisseurs à Madagascar, notamment ceux de la diaspora :
- Climat judiciaire imprévisible : Les jugements arbitraires dissuadent les investissements.
- Un système biaisé : La justice semble parfois servir des intérêts personnels au détriment de l’équité.
- Fuite des capitaux : Les investisseurs potentiels évitent Madagascar, privant le pays de développement économique.
Conclusion : un appel à une réforme judiciaire
Pour que Madagascar progresse vers un État de droit véritable, il est impératif que les enseignements de l’atelier de Tulear soient mis en pratique. Chaque jugement doit inclure des motivations claires et détaillées, expliquant les faits, le raisonnement juridique, et la décision. Sans cela, la justice malgache continuera à être perçue comme un outil de spoliation et d’injustice systémique.