Accusée d’avoir touché 70 000 € pour fermer les yeux sur l’évasion d’Houcine Arfa, un Français incarcéré à Madagascar, la ministre de la Justice de l’île a contre-attaqué ce week-end, dénonçant les propos d’un « affabulateur ».
C’est une évasion dont les contre-coups se font sentir au plus haut niveau de l’Etat malgache. Le 28 décembre dernier, Houcine Arfa parvenait à fuir Madagascar. Ancien conseiller à la sécurité du Président de la République, ce Français avait été condamné en novembre à trois années de prison pour «usurpation d’identité», «tentative d’extorsion» et «association de malfaiteur». Un «dossier vide» ayant abouti à «une procédure inique», dénonçait son avocat, Me Frank Berton.
Il y a tout juste une semaine, Houcine Arfa avait expliqué en exclusivité pour le Parisien qu’il avait versé 70 000 € de pots-de-vin à la ministre de la Justice pour s’échapper de la prison de Tsifahy, où il a purgé six mois d’une détention ponctuée de tortures, accusait-il.
La ministre de la Justice contre-attaque
Elise Alexandrine Rasolo, la ministre de la Justice malgache, a finalement réagi ce week-end à cette mise en cause. Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour demander sa démission, elle a choisi de contre-attaquer dans une longue interview diffusée en télé, radio et presse écrite dans les colonnes de l’Express de Madagascar.
D’emblée, elle évoque les périgrinations «d’un quidam quelconque qui débarque dans un pays en développement et affirme avoir une certaine importance.» Problème : Houcine Arfa est tout sauf un «quidam». Recruté directement par le président, il a pris en charge et formé la garde présidentielle, soit 900 hommes des troupes d’élites de l’armée malgache. Ses badges et accréditations à la Présidence attestent ses dires, comme plusieurs photos du président que nous avons pu consulter, qui prouvent la relation d’intimité que dit avoir développé Houcine Arfa avec le premier représentant de l’Etat.
Le Français dit avoir été victime d’un complot ourdi par d’autres conseillers du Président, auquel il aurait fait de l’ombre. «Un affabulateur», rétorque la ministre de la Justice, qui dément toute collusion. «Comment un ministre en exercice pourrait-il rentrer en contact avec un détenu ?, interroge-t-elle. Ni moi ni aucun de mes collaborateurs n’avons jamais permis de faciliter d’aucune manière son évasion.» A la procureur générale d’Antananarivo, Arfa disait avoir versé cette fois 30 000 €. En fin de semaine dernière, celle-ci avait reconnu avoir été approchée pour octroyer une autorisation de sortie sanitaire, moyennant finances. «J’ai dit que je ne pouvais pas faire ça, confiait-elle à RFI. J’ai répondu : mieux vaut que vous alliez demander à la ministre, qui est la première responsable.» (NDLR : de la délivrance de ce type d’autorisation).
«Des manoeuvres politiques»
Dans les faits, plusieurs enquêtes ont été ouvertes côté malgache. Le Bianco, le bureau de luttre anti-corruption, s’est saisi du dossier. Dans le même temps, une enquête interne au ministère a abouti à la mise en détention de trois agents de l’administration pénitentiaire, lesquels ont participé au transfert au cours duquel Houcine Arfa a pu s’échapper. Le fugitif avait alors rejoint Tamatave, à l’Est de l’île, avant de la retraverser en voiture pour semer ses poursuivants, et embarquer sur une pirogue à partir de la côte ouest en direction de Mayotte.
«Je cherche avant tout à éclaircir les circonstances de cette affaire», martèle Elise Alexandrine Rasolo, qui prévient que sa démission est exclue, et fustige, dans son pays, «des manoeuvres politiques» visant à freiner les réformes du système pénitentiaire qu’elle dit avoir initiées. Aux accusations de torture, elle répond que «Madagascar demeure un pays respectueux des droits de l’homme», où tout est fait pour «humaniser la détention.» Les conditions de vie dans les prisons malgaches sont toutefois régulièrement dénoncées par les ONG. Un récent reportage avait montré, au sein d’un établissement, 229 détenus entassés dans une pièce de 35 mètres de long sur quelques uns de large.
La ministre de la justice reconnaît avoir signé l’avis de transfert d’Houcine Arfa de la prison de Tsifahy. Mais pour des raisons de santé, dit-elle, elle avait donné son feu vert à une hospitalisation le 14 décembre. «Pour une seule date», précise-t-elle. Cette autorisation aurait alors été «abusivement exploitée par un médecin-chef pour d’autres sorties ultérieures non autorisées, jusqu’à aboutir à l’évasion.»
Madagascar : un Français s’évade de prison et évoque une affaire d’état
La France n’extrade pas ses nationaux
Depuis, un mandat d’arrêt international a été émis. Une procédure transmise à Interpol, mais qui a peu de chance d’aboutir, la France n’extradant pas ses nationaux. «Je pense que c’est juste une question de temps», assène pourtant la ministre, optimiste.
De son côté, le président de la République, Hery Rajaonarimampianina, s’est exprimé pour la première fois, samedi, sur l’affaire. Il a balayé des «accusations portées par un criminel évadé de prison à l’étranger afin de salir la réputation de l’exécutif». Me Berton, lui, entendait déposer plainte, en France, vraisemblablement pour «séquestration arbitraire.» Il n’excluait pas de se rendre sur place pour l’appel du procès, prévu le 9 février, dont on ignore, au regard du contexte, si l’audience est maintenue.
Nicolas Jacquard
A Madagascar, l’évasion d’un Français vire à l’affaire d’Etat – Le Parisien du 22 janvier 2018