Un atelier s’est tenu le jeudi 8 février dernier à la suite de l’étude sur l’opportunité de l’adhésion de Madagascar à l’OHADA menée par le Consortium Ferdinand AHO – Cabinet MCI. L’expert national en charge de l’étude, Raphaël Jakoba, Manager Associé du Cabinet MCI a répondu à nos questions.
Pouvez-vous nous présenter l’OHADA en quelques mots?
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) est une organisation régionale créée par le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Maurice) et révisé le 17 octobre 2008 au Québec. Cette organisation régionale a pour mission de garantir la sécurité juridique et judiciaire dans l’environnement des affaires en y instaurant des règles harmonisées, simples, modernes et adaptées, en favorisant une justice indépendante et fiable tout en encourageant le recours à l’arbitrage pour le règlement des différends. Toutefois, bien que la mission de l’OHADA soit juridique, sa finalité est économique en ce qu’elle constitue un moyen de promouvoir un droit des affaires attractif pour les investisseurs en général et d’attirer les Investissements Directs Etrangers (IDE) en particulier.
La question de l’adhésion de Madagascar à l’OHADA n’est pas nouvelle. Pourquoi elle sur le devant de la scène aujourd’hui ?
En effet, la question n’est pas nouvelle. Elle a été posée régulièrement depuis la création de l’OHADA : en 1993 lors du premier séminaire de sensibilisation à l’OHADA, en 1999 avec les multiples emprunts au droit OHADA lors des réformes législatives opérées à Madagascar. Elle a de nouveau surgi en 2016 à l’occasion du programme Facilité Elargie de Crédit (FEC) dans le cadre des relations entre Madagascar et le FMI, notamment une déclaration d’intention de Madagascar d’adhérer à l’OHADA. Le sujet a été repris dans le cadre du dialogue public-privé, où le Président de la République Hery Rajaonarimampianina a annoncé qu’une étude devrait être conduite pour savoir si des besoins et des attentes existent.
Comment l’OHADA est-elle perçue à Madagascar?
Afin de déterminer la perception de l’OHADA à Madagascar, l’équipe d’experts a réalisé un audit auprès de cinq villes de la Grande Ile (Antananarivo, Antsirabe, Majunga, Diégo et Tamatave). Si les années 90 étaient marquées par une opposition à toute adhésion à l’OHADA de la part de la majorité des principaux acteurs malgaches concernés, aujourd’hui ce consensus qui prévalait contre l’OHADA a cessé. D’une manière générale, nous avons actuellement deux positions qui s’opposent : le secteur privé, avec le GEM en tête a manifesté de l’intérêt pour une éventuelle adhésion et les partenaires techniques et financiers qui sont favorables à l’adhésion, et les magistrats et l’appareil judiciaire, plus souverainistes, qui font encore montre d’une réelle résistance. Pour le secteur privé, 70% sont majoritairement favorables à l’adhésion estimant que cela permettrait une attractivité accrue de Madagascar auprès des investisseurs étrangers et nationaux. Par contre, les juges constituent à 81% les principaux opposants à l’adhésion.
Qu’est-ce que l’adhésion à l’OHADA pourrait apporter à Madagascar ?
Le droit OHADA offre une garantie de sécurité aux investisseurs par sa transparence et sa prévisibilité. En outre, le droit OHADA présente une plus grande stabilité. En effet, étant soumis à une procédure décisionnelle régionale, le droit OHADA ne peut pas être modifié au gré des circonstances nationales telles que les caprices d’un gouvernement ou d’un parlement, de l’instabilité politique ou à des pressions extérieures. Une adhésion de Madagascar à l’OHADA présenterait également des avantages non négligeables pour l’appareil judiciaire malgache à savoir une sécurité judiciaire accrue en raison de la transparence dans le traitement des litiges et en raison du contrôle exercé par une juridiction supranationale, la CCJA, sur les pourvois en cassation. Enfin, les retombées économiques d’une adhésion constituent un avantage intéressant. D’après le rapport « Doing Business », l’OHADA a contribué à l’amélioration du climat des affaires. Par ailleurs, les Etats membres de l’OHADA figurent parmi les pays ayant enregistré une forte progression dans le classement 2016. Enfin, selon les chiffres de la Banque Africaine de Développement, la République Démocratique du Congo se classe au premier rang des économies ayant le PIB le plus élevé en Afrique subsaharienne.
Enfin, faut-il souligner qu’à l’objection exprimée quant à l’opportunité d’adhérer à l’OHADA alors que les relations commerciales et économiques entre Madagascar et les Etats membres de l’OHADA sont minimes, il faut répondre clairement que l’adoption de l’OHADA est un signal fort et un gage de sécurité pour les investisseurs nationaux et internationaux. Pour les partenaires traditionnels comme la Banque Mondiale et le FMI, rejoindre l’OHADA est un profilage juridique et économique.
Plus particulièrement, quel est le changement qu’une adhésion à l’OHADA apportera au climat des investissements à Madagascar ?
Le climat délétère des affaires ne permet pas l’épanouissement du secteur privé et constitue un obstacle majeur à l’arrivée d’investisseurs dans la Grande Ile. En assurant des règles de jeu claires, stables, prévisibles et accessibles à tous et en mettant en place une Cour supranationale, l’OHADA apporte des garanties essentielles que tout investisseur ou opérateur économique attend. Quoi qu’il en soit, il va de soi que la simple adhésion à l’OHADA ne peut pas suffire, à elle seule, à parfaire le climat des affaires attractif. D’autres éléments entrent en jeu, à savoir la stabilité politique, l’Etat de droit, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et la mise en place d’infrastructures.
Le droit malgache se rapproche-t-il ou est-il éloigné du droit OHADA ?
Le droit malgache des affaires s’est pour beaucoup inspiré du droit OHADA. C’est le cas de notre droit commercial général, du droit des sûretés, des procédures collectives d’apurement du passif et du droit des sociétés. Cela dit le législateur malgache n’a pas hésité à adapter ce droit OHADA aux spécificités malgaches, c’est ce qui explique par exemple l’inclusion de dispositions relatives au contrat de « fehivava ». Dans certains cas, on observe un décalage par rapport au droit des affaires malgache, soit que le droit OHADA a pris une longueur d’avance (droit des transports de marchandises par route), soit qu’il présente une longueur de retard (arbitrage, comptabilité…). D’où le débat, pourquoi adhérer alors que notre droit des affaires n’est pas si éloigné ou s’en est inspiré ?
Quelles sont vos recommandations concernant l’opportunité de l’adhésion de Madagascar à l’OHADA ?
Entre l’adhésion et la non-adhésion, nous avons opté pour le moment pour une ligne médiane car notre analyse a montré qu’il y a deux camps qui ont à peu près le même poids, le secteur privé et le secteur public, notamment l’appareil judiciaire. Par ailleurs, manifestement, notre étude a montré la méconnaissance de l’OHADA par les acteurs de la vie nationale. La position hostile adoptée en majorité par le secteur public s’explique sans doute par l’absence d’appropriation et de l’Institution OHADA et des mécanismes. A la lumière de ces faits, nous recommandons une meilleure préparation des différentes forces vives de la Nation, notamment la mise en place d’une Commission nationale d’évaluation de l’OHADA, une campagne de sensibilisation et d’information sur l’OHADA et que dès lors l’adhésion ou la non-adhésion se fera en toute connaissance de cause et non dans la précipitation.
Propos recueillis par R.Edmond