« Une bonne tenue des registres est essentielle à la protection des droits des prisonniers, afin qu’ils puissent être localisés. »
Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Lors de la visite de la MC d’Antanimora, l’équipe de recherche d’Amnesty
International a rencontré Cyril, 55 ans , accusé d’homicide et maintenu en
détention depuis 27 ans, mais toujours enregistré comme étant en détention
préventive, d’après le registre de l’établissement. Les agents pénitentiaires le
considéraient comme un détenu en attente de jugement, et il ignorait lui-même
qu’il avait été jugé par contumace. Cyril a expliqué :
« Je suis ici depuis 27 ans. J’ai été arrêté en septembre 1990. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’aucun membre de ma famille n’est venu m’apporter à manger. En prison, on ne me donne que du manioc, en 27 ans j’ai beaucoup souffert […] J’ai déjà été entendu par le tribunal, mais je ne sais pas quand ma prochaine audience aura lieu. Je n’ai pas d’avocat, je n’en ai jamais vu […] Je ne savais pas que j’avais droit à un avocat. »
Cyril a déclaré travailler pour d’autres détenus en leur faisant des massages, afin de pouvoir s’acheter un peu plus de nourriture et compléter la maigre diète de la prison.
L’équipe de recherche d’Amnesty International a réussi à obtenir le Modèle 18 de l’établissement, qui contient des informations sur chaque détenu, et a confirmé qu’il figurait parmi les personnes maintenues en détention préventive. D’après ce tableau, son mandat de dépôt date de 1990, alors que sa durée de validité est limitée, conformément au Code de procédure pénale. Dans la colonne « Observations », il est inscrit qu’il a été jugé par contumace, car il s’était évadé lorsque le procès a eu lieu. Amnesty International a pu vérifier que Cyril a effectivement été jugé, en 1993. Or, à cause du manque de coordination entre les tribunaux et les établissements pénitentiaires, la maison centrale n’a jamais été informée de la tenue du procès de Cyril. Cette situation a eu des conséquences dévastatrices sur sa santé psychologique, étant donné qu’il attendait toujours son procès et qu’il ignorait tout de l’état d’avancement de son dossier, malgré son droit à un procès équitable. Avant le départ de l’équipe de recherche, Cyril a déclaré :
« Tout ce que je souhaite, c’est sortir d’ici, aller à Antsirabe et chercher ma fille. Elle avait deux ans lorsque j’ai été arrêté.»
Malheureusement, cette situation n’a rien de surprenant. L’équipe de recherche d’Amnesty
International a pu constater de première main comment les agents pénitentiaires enregistraient les dates des audiences et les communiquaient aux détenus. La conjonction du manque de ressources, notamment de registres où inscrire les faits, de la surcharge du personnel et de l’absence de coordination entre les différents services peut rendre le processus enclin aux erreurs, qui frappent deplein fouet les détenus en attente de jugement.
Les registres sont un outil indispensable à la protection et au respect des droits humains des détenus.
Conformément aux Règles Nelson Mandela, l’existence généralisée d’informations détaillées sur l’arrestation, le lieu de détention et le traitement des détenus, condamnés ou non, fournit une protection contre lesv iolations des droits humains. La tenue de registres précis et mis à jour est aussi essentielle pour détecter les détenus dont les mandats de dépôt ont expiré et les libérer. Le droit malgache prévoit qu’une fois l’ordonnance de prise de corps arrivée à expiration, le détenu en attente de jugement doit être immédiatement libéré, sinon sa détention est considérée comme arbitraire.
Les directeurs d’établissement pénitentiaire jouent un rôle crucial dans la prévention des détentions arbitraires. Chaque mois, ils envoient au tribunal compétent une liste des détenus en attente de jugement dont la détention est sur le point d’atteindre la fin de la durée de validité légale. Les magistrats ont alors le choix entre prolonger leur détention en délivrant un nouveau mandat (lorsque la loi le permet) et ordonner leur libération. Les directeurs ont informé Amnesty International qu’il arrivait fréquemment que les magistrats ne donnent jamais de réponse, transférant ainsi au personnel de l’administration pénitentiaire la responsabilité de libérer les détenus concernés.
Les principaux obstacles à la tenue de registres de détention précis et régulièrement mis à jour sont le manque de moyens financiers et matériels, l’obsolescence des systèmes d’enregistrement et la mauvaise coordination entre les établissements pénitentiaires et le pouvoir judiciaire.
La législation malgache exige que les détails relatifs à chaque personne privée de liberté, qu’elle soit gardée à vue ou maintenue en détention préventive, soient inscrits dans un registre spécifique
. Au cours de ses visites, Amnesty International a observé l’existence de tels registres dans les neuf établissements pénitentiaires. Cependant, en l’absence de systèmes électroniques d’enregistrement, toutes les informations nécessaires sont inscrites à la main, notamment les données à caractère personnel des détenus, la date de leur audience suivante, celle du mandat de dépôt, ainsi que celle, le cas échéant, de sa prorogation ou de l’arrêté de libération. Cette tâche est extrêmement longue et pénible pour les agents pénitentiaires, qui sont déjà surchargés.
À la MC d’Antanimora, qui reçoit une vingtaine de nouveaux détenus chaque jour, le directeur a expliqué les conséquences du manque de moyens :
« Ici, nous avons 20 agents administratifs, mais nous n’avons pas assez de moyens. Nous n’avons que deux ordinateurs, donc ils doivent partager. Nous n’avons pas assez de cahiers pour le registre, alors maintenant nous utilisons les feuilles du tribunal pour écrire les renseignements. C’est vraiment dur pour le personnel, il souffre de stress et de problèmes psychologiques. »
Toutes les données sur les détenus et les mises à jour de leurs dossiers contenues dans les registres ont été consignées à la main depuis 1956. De ce fait, des centaines de vieux registres s’entassent au fond des archives des établissements pénitentiaires. Dans la plupart des prisons qu’Amnesty International a visitées, ces salles étaient en si mauvais état — vitres cassées, basses températures, infiltrations sur les murs — que bon nombre de registres avaient commencé à se décomposer, parfois même à devenir la cible des rongeurs.
La direction régionale responsable de la MC d’Antanimora a expliqué qu’il n’était pas rare que la décision du tribunal, communiquée sur papier, ne parvienne pas aux fonctionnaires des établissements pénitentiaires.
Parfois également, les dossiers des détenus sont égarés lors de leur transfert d’une juridiction à une autre.
Cyril est la preuve vivante qu’un registre mal tenu et une coordination déficiente entre le tribunal et les établissements pénitentiaires peuvent anéantir la vie et les espérances d’une personne. La triste réalité est qu’il n’est pas le seul.