C’est depuis des années que cela dure. Les réalités dans les prisons n’ont jamais connu d’amélioration malgré le changement de dirigeants. Prisons en piteux état et surpeuplées, détenus sous alimentés, hygiène déplorable, détention préventive exagérément prolongée, prévenus noyés parmi les condamnés…
L’Union européenne, les autres chancelleries, les organismes onusiens ont eu beau visiter les principales maisons de détention et interpeller l’État sur son devoir, rien n’y fit. Amnesty International vient de faire la découverte d’insoutenables réalités et remonte les bretelles de l’État par rapport au respect des droits humains. Une centaine de détenus a perdu la vie en 2017 dont cinquante-deux en détention préventive. Des chiffres qui font froid dans le dos mais qui risquent de s’aggraver si les réalités ne changent pas. Dans les prisons, 60 % des détenus ne sont pas jugés. Certains attendent d’être jugés depuis cinq ans sans avoir jamais vu un avocat. Une situation qui s’est tout de même améliorée puisque dans le passé, certains détenus ont passé trente ans en prison sans avoir été jugés.
Le monde carcéral n’a jamais été une préoccupation de l’État qui a toujours eu d’autres chats à fouetter. La santé, l’éducation, la lutte contre la corruption, l’insécurité sont autant de priorités auxquelles il doit se donner de la tête. Et la construction de prison cinq étoiles ne figure dans aucun programme des candidats à l’élection présidentielle. Même celui qui promet parkings et buildings n’en pipe pas mot. C’est dire. Or, tous les trafiquants, tous les prisonniers politiques à l’issue d’une alternance manivelle risquent un jour de s’y retrouver. Pety Rakotoniaina et Alain Ramoroson en savent quelque chose. Claudine Razaimamonjy fait partie des détenus qui attendent leur procès mais elle bénéficie certainement d’un traitement de faveur.
Tant pis donc pour ceux qui ont choisi d’aller vivre dans un trou. Pour les grands criminels et ceux qui sont condamnés, ils ne méritent certainement pas un meilleur traitement mais le fait est qu’il y a beaucoup de détenus qui ont commis des délits mineurs et beaucoup d’innocents qui subissent le même sort que les déchets de la société. Il suffira pourtant d’une volonté à défaut de grands investissements pour changer les conditions. Au lieu de verser du backshich aux juges et magistrats et échapper à un mandat de dépôt, les prévenus de délits mineurs n’ont qu’à s’acquitter d’une caution pour être en liberté. Vu le niveau de la corruption au niveau de la Justice et le nombre d’affaires qui passent au tribunal, l’État peut réaliser une meilleure recette que la douane et la contribution. Cela désengorgera à coup sûr les prisons et permettra à l’État d’en construire pour accueillir de nouveaux clients.
La détention préventive est une exception selon la Constitution mais elle est devenue pratiquement la règle. Reste à savoir les conséquences d’une telle mesure au niveau de la population étant donné qu’on est arrivé à un stade où toute remise en liberté est sanctionnée par une justice populaire. Le choix échoit ainsi à l’État de construire des écoles pour instruire et éduquer la population ou des églises pour la dissuader à voler et tuer ou construire des prisons pour punir et sanctionner ceux qui ont failli aux dix commandements.
Un dilemme cornélien pour l’État. Pourquoi investir dans un établissement dont le fonctionnement va coûter la peau des fesses? Pourquoi s’occuper des détenus alors que les moyens manquent pour améliorer les conditions de vie de gens biens, pour équiper les hôpitaux, les écoles, les sapeurs-pompiers ? Pourquoi s’occuper des lémuriens alors que les hommes ne mangent pas à leur faim, alors que les handicapés sont livrés à eux-mêmes? Des questions fondamentales dont les réponses justifient l’attitude et le comportement de l’État face à des réalités criantes.
Eric Ranjalahy