Punis parce qu’ils sont pauvres. Le 24 octobre 2018, le rapport d’Amnesty International sur les conditions effroyables de détention des prévenus à Madagascar sort dans les medias nationaux et internationaux. Plus de onze mille personnes ont été placées arbitrairement en détention préventive en 2017. Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique australe d’Amnesty International assure qu’il ne s’agit pas de dénoncer. Explications.
Pourquoi Amnesty international s’est intéressé à la détention préventive à Madagascar?
Madagascar est un pays très important dans la région sud de l’Afrique. Il est compris dans la zone que notre bureau régional couvre. Nous parlons ici de la quatrième plus grande île au monde, avec une population qui compte vingt-six millions d’habitants soit bien plus que celle des pays anglophones de l’Afrique australe réunis. Le pays est très riche en ressources naturelles, comme la plupart des pays africains. Mais aussi très pauvre en termes de développement humain. Madagascar fait face à la plupart des problématiques propres à celles des pays de l’Afrique australe. Nous nous concentrons donc sur cette problématique parce que nous pensons qu’il est temps pour Madagascar que la question de la détention préventive soit exposée au sein du débat public. Dans le rapport, nous mettons l’accent sur son usage excessif et abusif.
Le timing a été parfaitement orchestré puisque nous sommes en pleine campagne présidentielle. La démarche, conforme aux méthodes d’Amnesty International qui est celle d’appuyer là où ça fait mal, est-elle délibérée?
Cela nous a pris une année pour mener les investigations sur les conditions de détention préventive. Durant ces douze à dix-huit derniers mois d’enquête, Amnesty International s’est assuré de l’exactitude des faits, a veillé à la solidité des preuves. Ce rapport s’appuie exclusivement sur des preuves qui ont été vérifiées. Maintenant qu’il a été complété, il nous faut le partager avec le public et les autorités malgaches. Le fait qu’une élection va avoir lieu dans quelques semaines n’est que pure coïncidence. Mais nous sommes également convaincus qu’à ce tournant de son Histoire, Madagascar a la possibilité de réinitialiser ses priorités en matière de droit de l’homme. Les candidats ou la personne qui aura à cœur de diriger ce pays pourra utiliser ce rapport comme base pour développer un agenda en faveur des droits de l’homme, particulièrement pour mettre fin à la pratique excessive de la détention préventive.
Mais vous voulez tout de même faire passer un message particulier aux candidats n’est-ce pas?
Non, ce rapport n’est pas un rapport pour les élections, il s’agit d’un rapport sur les droits de l’homme. Madagascar aujourd’hui a un président, un parlement, un système judiciaire, un système carcéral, des médias, la société civile, … ce sont tous ces acteurs qui doivent travailler ensemble pour construire un nouvel agenda en faveur des droits humains et vraiment voir ensemble quels sont les obligations de l’Etat et du gouvernement avec ses partenaires pour pouvoir atteindre ce défi.
Vous avez visité, je crois, neuf prisons ?
Oui, nous nous sommes assuré que les prisons que nous avons visitées reflètent bien le monde carcéral à Madagascar géographiquement parlant notamment. Nous ne sommes pas allés au Nord, mais nous avons vu le centre, le sud-est et le sud-ouest du pays. Les quatre observations majeures que nous pouvons faire concernant ces prisons rendent compte d’une chose : les conditions de détention sont un problème. Il y a des problèmes d’équilibre alimentaire : les gens se nourrissent essentiellement de manioc. Dans certaines prisons. le commerce illicite d’aliments émerge parce que les rations sont insuffisantes. Il y a également la question de l’hygiène. Beaucoup de personnes souffrent de la tuberculose et compromettent la situation sanitaire de la prison. Et bien évidemment, la question du déni de justice fait que beaucoup ne sont pas jugés mais juste incarcérés. Vous avez aussi des infrastructures qui datent de l’époque coloniale et dont la réhabilitation est urgente. Nous l’avons rappelé au gouvernement.
Avez-vous rencontré des difficultés à mener cette enquête qui se révèle à première vue à charge pour l’Etat Malgache?
Les autorités ont été très coopératives. Nous leur sommes extrêmement reconnaissants pour la facilité que nous avons eu à accéder aux sites. Les responsables pénitenciers, ceux du ministère de la justice nous ont ouvert les portes. Les responsables ont mis un point d’honneur à ne rien nous cacher. Ce rapport n’est pas une accusa ion. Il s’agit d’un état de fait, d’une observation qui invite le gouvernement, nous, membres de la société civile, le pouvoir judiciaire. Vous les médias, à renouveler notre attention pour faire avancer les droits des pauvres dont 55% de la population carcérale est constituée. La plupart est en détention préventive. En 2017, cinquante-deux personnes sont mortes sans avoir été jugées, sans savoir si elles étaient coupables ou non. Le gouvernement risque d’être poursuivi pour cela.
Durant ces douze à dix-huit derniers mois d’enquête, Amnesty International s’est assuré de l’exactitude des faits
Concrètement, que dit le rapport?
Le rapport parle des conditions dans les prisons. Pas seulement de la surpopulation mais également de la gestion des besoins alimentaires et sanitaires des prisonniers et des prévenus. Le rapport parle aussi du manque des ressources qui sont allouées au système carcéral mais surtout au ministère de la justice.
Amnesty International a également noté que le malfonctionnement du système judiciaire est tel à Madagascar que les tribunaux ne se réunissent que deux fois par an. Cela contribue à la surpopulation carcérale. Nous avons également vu que des enfants sont emprisonnés avec des condamnés adultes. La situation particulière des femmes a aussi été notée, notamment celles qui accouchent et vivent en prison avec leurs bébés. La majorité de ces personnes qui sont en détention préventive y sont du fait de délits mineurs. Leur détention peut durer jusqu’à trois ans.
Y faites-vous des recommandations?
Il y a une véritable lacune dans la prise en considération des droits de l’homme. Il existe au sein de la commission africaine, soixante-deux rapports traitant du sujet. Madagascar n’a jamais soumis ce type de rapport alors qu’il devrait le faire périodiquement ou annuellement. Il s’agit d’une obligation vis-à-vis de la commission de l’union Africaine. Ainsi, nous appelons le gouvernement à s’exécuter. Il peut le faire à travers le ministère de la justice et les autorités concernées. Au regard du droit international, nous demandons au gouvernement de dresser un état des lieux concernant le droit et le bien-être des enfants. Cela n’a pas été fait depuis 201O. Voilà ce que le gouvernement peut faire, en plus de rechercher des ressources supplémentaires pour le département de la justice, et améliorer ainsi la situation actuelle.
Vous faites état d’un prisonnier sur deux en situation de malnutrition, c’est exactement ce que vivent les enfants malgaches.
Qu’attendez-vous d’un pays où la situation carcérale est identique à celle que vivent les gens en dehors des prisons?
Les conditions qui existent dans les prisons représentent bien évidemment un microcosme par rapport à la situation dans le pays. La population dont on parle est une population à risque mais quand on sait que Madagascar est un membre des Nations Unies et de l’union Africaine et travaille sur les agendas de I’ODD (Objectif de développement durable) où on parle de ne laisser personne derrière, les prisonniers, les personnes en situation de détention préventive en font partie.
Les autorités malgaches sont-elles au courant de la situation que vous décrivez?
Oui, absolument. Nous avons eu une réunion avec les différents partenaires impliqués dans cette cause, et où le ministère de la justice a été représenté par différents responsables, et ils connaissent la situation. Ils savent que souvent les gens sont mis en prison pour des délits mineurs tels que le vol de portable ou encore les vols à la tire, …
Dialoguez-vous avec les autorités?
Bien sûr que nous avons commencé à discuter avec les responsables. Le rapport a été lancé et maintenant ce qui reste à faire c’est de dialoguer avec les différents secteurs de la société malgache, y compris le gouvernement pour que les choses avancent. Nous veillerons à ce que nos recommandations leur parviennent directement.
Donc les autorités malgaches ne vous en veulent pas d’avoir dénoncé la situation?
Personne à Madagascar, le gouvernement ou qui que ce soit d’autre, n’est fâché contre nous parce que ce rapport n’a pas été fait pour dénoncer. La seule chose qui doit mettre les personnes en colère ce sont les conditions que nous y avons décrites.
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