Huit heures de route, quinze heures en barque et un avion vers Paris
Ce 28 décembre 2017, Houcine Arfa se plaint de diarrhée chronique et de douleurs au genou. Son transfert vers l’hôpital de la capitale, Antananarivo, est signé par la ministre de la Justice en personne. Le dispositif semble pourtant bien léger pour un prévenu considéré comme l’un des plus dangereux du pays : un simple taxi et deux surveillants non armés. Et pour cause : au lieu de se rendre à l’hôpital, son «escorte» l’emmène jusqu’à la ville de Tamatave, située sur la côte à huit heures de route ! Après trois heures à dériver sur une barque «à travers les courants violents», il embarque sur une «Kwassa» (pirogue de pêcheur à moteur) qui l’emmène jusqu’à Mayotte en territoire français. Privé de passeport, il parvient pourtant à embarquer pour Paris grâce à la complicité de son épouse qui travaille pour une compagnie aérienne. Il atterrit enfin en France le 1er janvier 2018.
Difficile de retracer le parcours de Houcine Arfa, aujourd’hui âgé de 54 ans, lui-même restant volontairement flou «pour ne pas compromettre ses futures missions». Ancien boxeur, il aurait travaillé dans le social, puis gagné les cercles de pouvoir dont «les équipes de François Mitterrand». Il explique ensuite avoir monté sa société de consultant et travaillé pour «plusieurs dirigeants africains». C’est en 2015 qu’il rencontre le Président malgache Hery Rajaonarimampianina, dont il va semble-t-il gagner la confiance. Ce dernier le charge de former les troupes d’élite de la garde présidentielle. «C’était l’ombre du président. Il rentrait dans son bureau sans rendez-vous», décrit maître Christian Raoelina, son avocat malgache.
«J’ai dérangé des intérêts puissants»
Le 20 juin 2017, il est pourtant brutalement arrêté à son domicile. «Trente hommes avec des Kalachnikovs et des gilets pare-balles sont venus me chercher», détaille Houcine Arfa sur RFI. Les policiers saisissent des liasses d’argent en liquide : 115 millions d’ariary (29 000 euros) ainsi que 25 500 euros en billets, des armes et une tenue de camouflage, «faisant craindre un attentat contre le Président de la République», assure la presse malgache. Le Français est inculpé pour «extorsion de fonds, menace de mort, menace et tentative de kidnapping, faux et usage de faux, usurpation de titre et de fonction». Trois années de prison ferme. Pour Houcine Arfa, nul doute qu’il a été victime d’un règlement de comptes. «J’ai dérangé des intérêts puissants», assure-t-il, évoquant notamment le trafic de bois de rose, de tortues et de vanille.
Une détention digne d’un «camp de concentration»
Incarcéré à Tsiafahy, la prison la plus sécurisée de Madagascar, Houcine Arfa décrit un véritable «camp de concentration». «J’ai cru que j’allais mourir», raconte-t-il au Parisien, affirmant avoir perdu 20 kilos en deux mois et demi. «Régulièrement, j’étais frappé avec une courroie d’alternateur entourée d’une serviette éponge pour que ça ne laisse pas de marques». Après cinq mois, il est transféré à la prison centrale d’Antananarivo, la capitale. Un établissement «plus souple» dont il parvient à s’échapper le 28 décembre. «On ne sort pas d’un tel endroit sans complicités», assume-t-il, affirmant avoir versé 70 000 euros à la ministre de la justice et 30 000 euros au procureur pour «faciliter sa fuite».
Des accusations bien entendues démenties par mes intéressés. «Cette affaire a été montée de toutes pièces à des fins politiques», s’emporte Élise Alexandrine Rasolo, la ministre de la Justice malgache dans L’Express de Madagascar, qui annonce porter plainte contre le fugitif. La ministre est également très énervée contre deux articles parus dans Le Parisien et Le Monde «On a voulu rassembler dans un même récit tous les clichés négatifs sur notre pays […] Mais il reste avant tout un criminel dangereux, et les personnes de ce genre sont prêtes à tout pour se laver de tout soupçon».
Un dossier avec de nombreuses zones d’ombre
Le problème, c’est que ces démentis sont pour le moins fragiles. La procureure Odette Razafimelisoa, qui a d’abord admis s’être vu proposer un pot-de-vin, est ensuite revenue sur ses propos sur RFI. Le Président Hery Rajaonarimampianina a mis trois jours à s’exprimer publiquement, soutenant timidement ses administrés. Et surtout de nombreuses questions demeurent : Comment Houcine Arfa a-t-il pu parcourir 400 km en voiture sans que personne ne donne l’alerte (les autorités ont «appris» l’évasion… par la presse le 2 janvier) ? Pourquoi n’a-t-on jamais retrouvé la trace des 55 000 euros saisis lors de son arrestation ? Pourquoi le Président malgache a-t-il accordé si facilement sa confiance à un individu déjà condamné en France à trois reprises pour «vol à main armée, coups et blessures et kidnapping» d’après les autorités du pays ?
«Je n’ai pu savoir si j’avais en face de moi OSS 117, Jean-Claude mytho ou une vraie victime d’un règlement de comptes entre les conseillers de Hery», conclut Philippe Gumery, l’ancien avocat français de Houcine Arfa.
Houcine Arfa l’évadé français qui fait trembler Madagascar 29 janvier 2018 VSD