Qu’en effet, la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.
Chambre criminelle du 13 décembre 2000, 99-80.387
En cas de poursuites pour abus des biens sociaux, les associés, hors le cas d’exercice de l’action sociale ut singuli, ne peuvent demander à la juridiction correctionnelle réparation du préjudice résultant de la perte ou de la baisse de valeur de leurs titres, ou de la perte des gains escomptés. En effet, la dévalorisation des titres d’une société découlant des agissements fautifs de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé mais un préjudice subi par la société elle-même.
Chambre criminelle du 13 décembre 2000, 99-80.387
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 13 décembre 2000
N° de pourvoi: 99-80387
REJET des pourvois formés par :
– X… Raynald, prévenu,
– Y… Félice, partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 9e chambre, en date du 3 décembre 1998, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux, à 50 000 francs d’amende et a débouté le second de ses demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Raynald X…, pris de la violation des articles 437 de la loi du 24 juillet 1966, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale et défaut de réponse à conclusions :
» en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Raynald X… coupable d’abus de bien social au préjudice de la société SDL et l’a condamné à la peine de 50 000 francs d’amende ;
» aux motifs qu’il ne peut être contesté que le moule servant à la fabrication des fonds platine par la société Jeher était la propriété de la société SDL ; que cette société l’avait acquis au prix de 80 000 francs le 17 mai 1988, suivant facture jointe à la procédure ; qu’en outre, ce matériel figurait au bilan de la société dans les immobilisations ; que le fait que ce bien ait été intégralement amorti était sans incidence sur sa valeur d’usage ; qu’il est établi par les déclarations de Paul Z…, président du conseil d’administration de la société Jeher, par les bons de commande émanant de la société Data Process, et par un courrier adressé le 28 juillet 1994 par la société Jeher à Félice Y…, que la société Jeher avait vendu, à compter du mois de janvier 1993, à la société BRL et à la société Data Process, respectivement 230 et 1 477 fonds platine ; que les allégations de Raynald X… selon lesquelles la société Jeher aurait fabriqué et livré les fonds de balance de sa propre initiative, sont contredites par le témoignage de Paul Z… qui affirme avoir reçu des instructions de Raynald X… pour continuer à produire des fonds de balance avec les moules SDL et pour expédier la production des fonds platine à la société Data Process ; que ce témoin a produit un courrier en date du 29 juillet 1993 par lequel Raynald X… demandait à la société Jeher d’envoyer l’outillage en Italie car, écrivait-il, le marché était trop restreint et qu’il fallait des prix plus bas ; que le témoin a également versé au dossier sa réponse en date du 4 août 1993 rappelant que la société Jeher était dépositaire exclusif de l’outillage et demandant à ce que cette société continue à fabriquer les fonds platine ; qu’en outre, figure sur les bons de commandes adressés par la société Data Process à la société Jeher sous la rubrique » référence » le nom du prévenu, ce qui démontre le rôle tenu par celui-ci dans les relations commerciales entre les sociétés Jeher et Data Process ; que, pour relaxer Raynald X…, les premiers juges ont estimé que l’élément matériel du délit d’abus de bien social n’était pas établi au motif que le prévenu n’avait aucun lien direct ou indirect avec la société Data Process, bénéficiaire des pièces fabriquées par la société Jeher ; mais considérant que la société Data Process était la société mère de la société SDL ;
» qu’à l’audience de la Cour, le prévenu a lui-même reconnu : » en quelque sorte, la société Data Process était mon employeur » ; que Raynald X… avait donc un intérêt personnel, d’ordre professionnel à faire bénéficier la société Data Process de la production de la société Jeher ; que, grâce à ce processus, la société Data Process pouvait fabriquer des balances sans avoir à payer des frais d’études, ni de réalisation de moules ; qu’en l’état de ces énonciations, il est établi que Raynald X…, président du conseil d’administration de la société SDL, a mis gratuitement à la disposition de la société Jeher un bien dont la société SDL était propriétaire, en l’espèce l’outillage destiné à la fabrication des fonds platine de balance, dans le but de favoriser la société Data Process qu’il considérait comme son employeur ;
» alors, d’une part, que l’usage des biens sociaux d’une société faisant partie d’un groupe doit se concevoir en prenant en considération l’intérêt du groupe ou des sociétés dépendant de ce groupe ; qu’en estimant que le délit d’abus de biens sociaux était constitué, tout en relevant que la société Data Process, bénéficiaire des pièces fabriquées par la société Jeher, était la société mère de la société SDL, dont il aurait été fait un usage abusif des biens sociaux, la cour d’appel, qui ne recherche pas si l’intérêt du groupe ne justifiait pas l’opération mise en cause, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 ;
» alors, d’autre part, qu’en estimant que Raynald X… avait un » intérêt personnel d’ordre professionnel à faire bénéficier la société Data Process de la production de la société Jeher « , au seul motif que le prévenu était le dirigeant de la société SDL, filiale de la société Data Process, ce qui l’avait conduit à déclarer à l’audience qu' » en quelque sorte, la société Data Process était mon employeur « , la cour d’appel, qui se prononce par un motif inopérant et ne caractérise nullement l’intérêt personnel qu’avait le prévenu dans l’opération mise en cause, a privé à nouveau sa décision de base légale au regard de l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 » ;
Attendu que, faute d’avoir été présenté devant les juges du fond, le moyen tiré de la justification de l’abus de biens sociaux reproché par l’intérêt du groupe, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnels, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour Félice Y…, pris de la violation des articles 437, 437-3, 460, 463 et 464 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, violation de l’article 2 du Code de procédure pénale, violation de l’article 1382 du Code civil, du principe de la réparation intégrale, et méconnaissance des exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale :
» en ce que l’arrêt attaqué, après avoir reçu la constitution de partie civile de Félice Y…, débouta ce dernier au fond ;
» aux motifs que Félice Y…, partie civile appelante, sollicite la condamnation de Raynald X… à lui payer les sommes suivantes : 1 500 000 francs à titre de dommages et intérêts, 15 000 francs sur le fondement de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ; que Félice Y…, en sa qualité d’associé de la société SDL, invoque un préjudice matériel résultant, selon ses écritures, du non-remboursement de son compte courant créditeur d’un montant de 1 030 598, 47 francs, intérêts compris, et de la perte de valeur de son invention dans la société ; que la créance alléguée par la partie civile au titre de son compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social commis par Raynald X… ; qu’en outre, la société SDL a été condamnée, par un arrêt en date du 21 juin 1995 de la cour d’appel de Paris, à rembourser à Félice Y… le montant de son compte courant, étant de plus observé qu’il n’est pas démontré que la perte de valeur d’un investissement de la partie civile dans la société SDL découle directement des agissements délictueux du prévenu ;
» alors que, d’une part, dans ses écritures très circonstanciées, la partie civile insistait sur le fait que la dilapidation des actifs de la société SDL en l’état des abus de biens sociaux imputables à son dirigeant, Raynald X…, avait été à l’origine de la liquidation judiciaire de ladite société laquelle, si elle avait remboursé tous ses autres créanciers, n’en fît pas de même à l’endroit de la partie civile qui, en l’état de la liquidation et de l’absence d’actif, n’a pu obtenir le montant de sommes importantes en sorte que c’était bien le comportement délictueux de Raynald X… constaté par la cour d’appel qui avait été à l’origine d’un préjudice spécifique tiré de l’impossibilité pour un créancier de recouvrer une créance fût-ce pour partie ; que ce préjudice spécifique était directement lié aux abus de biens sociaux déplorés et reconnus par les juges du fond ; qu’en déboutant cependant la partie civile à partir d’une simple affirmation, à savoir que la créance alléguée au titre du compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social déploré, la Cour méconnaît les exigences de l’article 593 du Code de procédure pénale ;
» alors que, d’autre part, le fait que la société SDL ultérieurement mise en liquidation judiciaire ait été condamnée par un arrêt de la cour d’appel de Paris à rembourser Félice Y… du montant de son compte courant, soit une somme de 864 906, 55 francs est sans emport par rapport à la question posée au juge pénal :
l’abus de bien social ayant conduit au dépôt de bilan de la société fit que celle-ci n’ayant plus aucun actif, la créance ressortant de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 juin 1995 est restée irrecouvrable, d’où le préjudice direct souffert par la partie civile en l’état du comportement délictueux de Raynald X… ; qu’en statuant comme elle l’a fait sur le fondement de motifs inopérants, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des textes cités aux moyens ;
» et alors, enfin, qu’en sa qualité d’associé de la société SDL, Félice Y… subissait nécessairement un préjudice lié à la dilapidation de l’outillage destiné à la fabrication de balances en sorte que l’abus de bien social avait directement conduit à l’appauvrissement de la société SDL et donc aux dommages soufferts par son associé, Félice Y…, à hauteur de 30 %, lequel a perdu tous les investissements faits (cf. 18 et 19 des conclusions d’appel) ; qu’en affirmant qu’il n’était pas démontré que la perte de valeur de l’investissement de la partie civile découle directement des agissements délictueux du prévenu cependant qu’il ressortait de l’arrêt lui-même que le prévenu avait dilapidé l’actif de la société SDL, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des textes cités au moyen » ;
Attendu que, pour débouter Félice Y…, actionnaire de la société SDL, de sa demande en dommages-intérêts fondée, d’une part, sur le non-remboursement de sa créance en compte courant et, d’autre part, sur la perte de son investissement dans le capital de la société, l’arrêt énonce que la créance alléguée par la partie civile au titre de son compte courant est sans lien de causalité directe avec l’abus de bien social commis par Raynald X… et qu’il n’est pas démontré que la perte de valeur d’un investissement de la partie civile dans la société SDL découle directement des agissements délictueux du prévenu ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision ;
Qu’en effet, la dépréciation des titres d’une société découlant des agissements délictueux de ses dirigeants constitue, non pas un dommage propre à chaque associé, mais un préjudice subi par la société elle-même ;
D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.