Cour de cassation
Audience publique du 22 octobre 2014
N° de pourvoi : C1405072
Président : M. Guérin (président)
Avocats : SCP Spinosi et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :Statuant sur les pourvois formés par :
– M. Jean-Jacques X…,- Mme Céline X…, épouse Z…,
– M. Benoît Y…,
– La société Paul Jaboulet Ainé,- La société Yakuti international, partie civile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de REIMS, chambre correctionnelle, en date du 26 décembre 2012, qui a condamné les deux premiers, pour abus de biens sociaux, à 10 000 euros d’amende, le troisième, pour abus de biens sociaux et recel, à 10 000 euros d’amende, la quatrième, pour recel, à 50 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 10 septembre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Ract-Madoux, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller RACT-MADOUX, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI ET SUREAU et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GAUTHIER ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par la SCP Waquet, Farge, Hazan, pour M. X…, Mme Céline X…, épouse Z…, M. Y…et la Société Paul Jaboulet Aîné, pris de la violation des articles L. 242-6 du code de commerce, 321-1 du code pénal, 1, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
» en ce que l’arrêt attaqué a, sur l’action publique, déclaré recevable l’action engagée par la société Yakuti International, prononçant en conséquence des condamnations à l’encontre de M. X…, de Mme X…, épouse Z…, de M. Y…et de la société Paul Jaboulet, et, sur l’action civile, dit recevables les demandes en réparation de la société Yakuti International fondée sur l’article 2 du code de procédure pénale du chef d’abus de biens sociaux et de recel ;
» aux motifs que s’agissant de l’article L. 225-252 du code de commerce : La partie civile invoquait cet article pour fonder son action et sa qualité d’actionnaire de la SA BSEH, c’est-à-dire l’action sociale ut singuli ; ¿ que la société Yakuti admet que la référence faite à l’article L. 225-252 était inappropriée et abandonne ce moyen ; que la cour observe que l’action était recevable puisqu’intentée dans le délai de la loi et que la société avait été mise en cause, la Cour de cassation considérant que l’intervention des représentants légaux de la société ne pourrait priver les actionnaires de leur droit propre de présenter des demandes au profit de celle-ci (ch crim 16 12 2009) ; que cependant, la partie civile ne démontre pas que les statuts de la société autorisent l’action ut singuli ; que la cour ne pourra ainsi examiner plus avant la demande de ce chef ; que s’agissant de l’article 2 du code de procédure pénale : la société Yakuti invoque l’article 2 du code de procédure pénale, allant jusqu’à parler d’une interprétation de la chambre criminelle de la Cour de cassation consacrant dans une jurisprudence constante uniquement dans la vision du professeur de droit le soutenant une action ut singuli, sui generis qualifiée par la défense d’« audacieuse sur le plan intellectuel » et totalement démentie par un autre professeur de droit versé en procédure dans sa consultation qui considère que « l’action sociale ut singuli est en effet une action spéciale qui ne peut être exercée que dans les sociétés pour lesquelles elle est prévue » ; que la cour écartera l’argument relatif à l’action ut singuli sui generis ; que la défense observe que « l’action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par les articles 2 et 3 Cpp » et que « le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel qu’à la société elle-même et non à chaque associé, ce qui rend irrecevable l’action civile exercée à titre personnel par l’un des associés ou actionnaires invoquant un préjudice résultant des agissements frauduleux des dirigeants ; que la cour considère qu’il convient de distinguer la question de la mise en oeuvre de l’action et celle de la réparation notamment en matière d’abus de biens sociaux dès lors que des règles spécifiques existent en droit des sociétés ; que s’agissant de la mise en oeuvre de l’action publique par la constitution de partie civile, la cour observe que l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction et que les associés, au même titre que la société subit les conséquences du préjudice causé par les actes de gestion fautifs des mandataires sociaux ; qu’il suffit dès lors que les circonstances sur lesquelles l’action se fonde permettent d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale (ch crim 11 01 1996) ; qu’elle observe qu’en l’espèce, le préjudice n’a pas été délibérément recherché par la partie civile à seule fin de mettre en mouvement l’action publique aux lieu et place du ministère public, Yakuti étant actionnaire avant même l’entrée au capital du groupe X… dans BSEH ; que dès lors, s’agissant de la réparation du préjudice, la cour rappelle qu’il importe derrière la nécessité d’avoir à démontrer un préjudice certain et découlant directement des faits commis, de distinguer le préjudice social qui se répercute nécessairement sur les associés qui est ainsi indirect et n’ouvre en droit des sociétés que l’action sociale au bénéfice de l’entreprise et le préjudice personnel ouvrant droit à l’action individuelle, lequel ne doit pas être le corollaire du préjudice subi par la société (ch crim 13 12 200 et 30 01 2002) ; qu’elle considère en l’espèce que l’existence de ce préjudice n’est pas rapportée dès lors qu’il est argué que :- c’est le versement d’une somme globale de 500 000 euros les 19 février et 24 septembre 2010 à une société contrôlée par les dirigeants et administrateurs de la société Billecart Salmon Expansion Holding SA (BSEH) et la mise à la charge d’un compte courant créditeur des sociétés Paul Jaboulet Ainé et Montebello domaines qui constituaient « à l’évidence » des abus de biens sociaux au préjudice de cette société (donc BSEH),- Yakuti déclarait agir en son nom et pour le compte de Billecart Salmon Expansion Holding et réclamait la condamnation solidaire des trois prévenus personnes physiques à payer à la (seule) société BSEH la somme de 2 000 000 d’euros en réparation du préjudice ; qu’elle déclarera non fondée la société Yakuti à mettre en oeuvre l’action civile à l’encontre de M. Jean Jacques X…, Mme Céline X…, épouse Z…, et M. Benoit Y…à titre personnel pour le compte de la société BSEH ;
» 1°) alors que les prévenus demandaient à la cour d’appel de prononcer la nullité de la citation en se prévalant du défaut de capacité de la société Yakuti pour engager l’action ut singuli au nom et pour le compte de la société BEH et de l’irrecevabilité des actionnaires à agir directement en réparation d’un préjudice personnel en matière d’abus de biens sociaux, de recel de cette infraction et d’abus de confiance ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 2°) alors, subsidiairement, que la partie civile ne peut mettre en mouvement l’action publique, par une citation directe, que si elle justifie d’un préjudice personnel trouvant directement sa source dans l’infraction poursuivie ; qu’en retenant qu’il suffisait, pour que l’action publique soit mise en oeuvre par la partie civile, « que les circonstances sur lesquelles l’action se fonde permettent d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale », la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 3°) alors que le délit d’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé ; qu’en retenant cependant, pour déclarer recevables les demandes en réparation de la société Yakuti International, actionnaire de la société BEH, du chef d’abus de biens sociaux et de recel d’abus de biens sociaux, « que les associés, au même titre que la société subit les conséquences du préjudice causé par les actes de gestion fautifs des mandataires sociaux », la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
» 4°) alors que la partie civile ne peut mettre en mouvement l’action publique, par une citation directe, que si elle justifie d’un préjudice personnel trouvant directement sa source dans l’infraction poursuivie ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a déclaré irrecevable la demande en réparation de la société Yakuti International en tant que fondée sur l’action ut singuli dans la société BEH, et, s’agissant de l’action fondée sur l’article 2 du code de procédure pénale, a considéré que « l’existence d’un préjudice personnel n’était pas rapportée » ; qu’elle aurait dès lors dû constater qu’en l’absence de justification par la partie civile d’un préjudice personnel trouvant directement sa source dans l’infraction poursuivie, l’action civile n’avait pas été régulièrement engagée et le tribunal n’avait pas été valablement saisi de l’action publique ; qu’en statuant cependant sur l’action publique, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;
Vu l’article 2 du code de procédure pénale ;
Attendu que la partie civile ne peut mettre en mouvement l’action publique que si elle justifie d’un préjudice personnel trouvant directement sa source dans l’infraction poursuivie ;
Attendu que la société de droit panaméen Yakuti international, actionnaire de la société de droit luxembourgeois, domiciliée au Luxembourg, Billecart expansion holding (BEH), agissant sur le fondement de l’article L. 225-252 du code de commerce, a cité directement devant le tribunal correctionnel M. X…, Mme X…et M. Y…du chef d’abus de biens sociaux au préjudice de la société BEH dont les premiers étaient » dirigeants de fait et administrateurs et le troisième dirigeant de droit ; que la société Paul Jaboulet Aîné et M. Y…, président du conseil de surveillance de cette société, ont en outre été cités du chef de recel d’abus de biens sociaux ; qu’enfin, tous les prévenus ont été cités » à titre subsidiaire » des chefs d’abus de confiance et recel de ce délit ;
Attendu que l’arrêt infirmatif attaqué, après avoir admis la recevabilité de l’action engagée par la partie civile au nom de la société BEH, déclaré les prévenus coupables d’abus de biens sociaux et de recel et dit qu’il n’y avait » pas lieu de se prononcer sur le subsidiaire « , déclare irrecevable la demande en réparation présentée au nom de la société Yakuti International, motif pris de ce que celle-ci ne démontre pas que ses statuts autorisent l’action » ut singuli « , et la déboute de ses demandes de réparation fondées sur l’article 2 du code de procédure pénale, en relevant qu’elle n’a pas subi personnellement le préjudice invoqué ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations sur le défaut de justification, par la partie civile qui a cité directement les prévenus, de l’existence d’un préjudice personnel et, par voie de conséquence, de la recevabilité de son action, la cour d’appel, à laquelle il appartenait de constater que l’action publique n’avait pas été régulièrement engagée, a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Reims, en date du 26 décembre 2012 ;
CONSTATE que l’action publique n’a pas été régulièrement engagée ;
Et attendu qu’il ne reste rien à juger ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Reims et sa mention en marge où à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux octobre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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