AccueilNon classéA Madagascar, une présidentielle...

A Madagascar, une présidentielle sur fond de grand banditisme et corruption – Médiapart du 7 novembre 2018

PAR 

Une élection présidentielle se tient mercredi 7 novembre à Madagascar. Quatre anciens présidents font partie des 36 candidats en lice, dont le sortant Hery Rajaonarimampianina et son prédécesseur, Andry Rajoelina. Leur passage au pouvoir a conduit à une criminalisation accélérée de l’appareil d’État et à l’aggravation de la pauvreté.

Ce sont des images très embarrassantes pour le président sortant de Madagascar, Hery Rajaonarimampianina, qui ont été publiées le 10 septembre 2018 par plusieurs journaux du pays. Elles mettent en scène son fils aîné, Matthieu Rakotoarimanana, portant un pistolet à la ceinture et accompagné par des forces de sécurité et des civils. Ces photos ont été prises dans la commune d’Anjozorobe, à 90 kilomètres d’Antananarivo, le 21 février 2016.

Ce jour-là, au moins une partie de ce groupe venu de la capitale a fait usage d’armes à feu pour chasser des exploitants miniers d’une carrière de cristal titane, convoitée par Matthieu Rakotoarimanana. L’un des mineurs a disparu, probablement tué par des tirs. À l’époque, Hery Rajaonarimampianina a catégoriquement nié la présence de son fils sur les lieux. Aujourd’hui, non seulement ces photos confirment les déclarations de nombreux témoins, mais un ancien responsable de la sécurité du président, Houcine Arfa, assure que la famille de la victime a été payée pour renoncer à engager des poursuites. « Ce sont des hommes de la garde présidentielle que j’ai formés qui ont remis les fonds à la famille », dit ce Français qui a travaillé pendant dix-huit mois pour le chef de l’État.

L’affaire d’Anjozorobe n’est que l’un des innombrables scandales qui ont marqué la présidence de Hery Rajaonarimampianina. Élu fin 2013, il a démissionné le 7 septembre, conformément à la Constitution, afin de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle qui se tient ce mercredi 7 novembre (un éventuel second tour aura lieu le 19 décembre). Au cours de son mandat, les autorités ont attribué, dans l’opacité, une multitude de marchés à des entreprises étrangères. Conclu deux jours avant sa démission, l’un de ces contrats prévoit l’exploitation des ressources halieutiques du pays par 330 navires chinois. Les clauses précises de l’accord, qui représente selon des organisations de la société civile « une menace sans précédent » pour l’économie et l’environnement de Madagascar, sont restées secrètes.

Sous Rajaonarimampianina, très contesté dans les derniers mois, toutes sortes de trafics de ressources naturelles, surtout à destination de l’Asie, ont aussi prospéré. Rien de nouveau : pendant la présidence de Didier Ratsiraka (1976-1993 et 1997-2002) et de Marc Ravalomanana (2002-2009), les mêmes pratiques avaient cours. Le phénomène a toutefois atteint un niveau effrayant avec Andry Rajoelina (2009-2013). Cela s’explique : Rajoelina est arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État financé par des trafiquants de bois de rose, une essence protégée et interdite à la commercialisation, mais très prisée en Chine. Par la suite, Rajoelina a gardé auprès de lui ces hommes d’affaires d’un genre particulier et a facilité leurs activités, violant les règlements internationaux. Il a contribué à les rendre plus prospères et puissants – une tonne de bois de rose vaut aujourd’hui entre 20 000 et 25 000 dollars, et son commerce a généré chaque année des centaines de millions de dollars. Parmi eux, Maminiaina Ravatomanga, dont le nom est depuis apparu dans les Panama Papers, et qui est visé par une enquête ouverte en France pour « blanchiment en bande organisée ». Rajoelina s’est lui-même considérablement enrichi.

Les trafiquants ont renforcé leur emprise sur l’appareil d’État après l’arrivée à la présidence de Rajaonarimampianina, expert-comptable de profession et ministre des finances de Rajoelina. Ils avaient préalablement sponsorisé sa campagne électorale pour la présidentielle de 2013 – à laquelle ni Rajoelina ni Ravalomanana n’avaient le droit de se présenter. L’un des plus connus d’entre eux, Jean-Pierre Laisoa, dit Jaovato, s’est fait élire député en 2014 et siège dans divers comités chargés de la surveillance des ressources naturelles, du contrôle des finances et du corps judiciaire, selon l’Organized Crime and Corruption Reporting Project.

Des membres des forces de sécurité et du gouvernement ont aussi joué un rôle de premier plan dans le commerce illégal de pierres et de bois précieux, de minerais, d’espèces animales protégées et autres richesses, affirment plusieurs sources. Houcine Arfa a pour sa part été témoin des magouilles et pratiques de racket mises en œuvre à Iavoloha, le palais présidentiel. « Les véhicules hybrides de luxe », qui avaient été importés pour le sommet de la Francophonie organisé à Antananarivo en 2016, « ont été immédiatement saisis par le président Hery et sa famille dès la fin du sommet et ont disparu dans les caves du palais d’Iavoloha », a-t-il révélé dans une lettre ouverte. Il explique à Mediapart avoir constaté la présence régulière d’hommes d’affaires venus apporter au chef de l’État des sacs contenant des dizaines de milliers de dollars ou d’euros. Il a aussi observé la manière dont des conseillers et des membres de la famille du président ont bâti des fortunes colossales dans des opérations frauduleuses, incluant du trafic d’or. Ce qu’il décrit a toutes les allures d’un monde de voyous.

Pour stopper cette mafia installée au cœur de l’État, la justice est inopérante.

Pour stopper cette mafia installée au cœur de l’État, la justice est inopérante. Car l’institution judiciaire est « instrumentalisée au service de l’exécutif, déplore Fanirisoa Ernaivo, ex-présidente du Syndicat des magistrats de Madagascar et candidate à la présidentielle. Nous, jeunes magistrats, avons hérité d’un système judiciaire corrompu, de magistrats peureux qui n’osent pas s’affirmer et faire jouer leur indépendance. Et cela est compréhensible : soit ils suivent les ordres, soit ils perdent leur boulot et rejoignent les millions de chômeurs que compte le pays ».

On ne compte plus les affaires criminelles ou de corruption impliquant des membres du pouvoir qui ont été étouffées, souvent de manière grossière,

On ne compte plus les affaires criminelles ou de corruption impliquant des membres du pouvoir qui ont été étouffées, souvent de manière grossière, comme cela a été le cas pour Claudine Razaimamonjy, conseillère spéciale de Rajaonarimampianina, au centre d’un incroyable feuilleton judiciaire en 2017. En revanche, les gêneurs finissent vite derrière les barreaux. Houcine Arfa en a fait l’expérience. En juin 2017, il a été brutalement arrêté et incarcéré dans l’épouvantable prison de Tsiafahy, à 25 kilomètres d’Antananarivo, vraisemblablement sur ordre de la présidence. Il a été condamné à trois ans de détention pour, entre autres, « association de malfaiteurs ». Mais il a réussi à s’évader au bout de six mois et à quitter le pays dans des conditions rocambolesques. Pour son évasion, il dit avoir fait verser en tout 100 000 euros à la procureure chargée de son dossier et à la ministre de la justice. Ces dernières ont démenti, sans convaincre. Houcine Arfa a depuis porté plainte en France contre plusieurs personnalités pour « détention arbitraire »notamment, et à Madagascar contre son ex-patron

Conséquence de la cupidité sans limites de leurs dirigeants, les Malgaches, soit 25 millions de personnes, sont littéralement en situation de survie : Madagascar est le quatrième pays le plus pauvre du monde en termes de PIB, selon la Banque mondiale. Ils sont aussi confrontés à une forte insécurité, qu’illustrent le lynchage à mort de trois policiers à Fénérive-Est, le 24 octobre, et le nombre exceptionnel d’agressions mortelles visant des ressortissants français – 18 au moins ont été tués en six ans. « Les dirigeants se foutent de la gueule du peuple, dit Fanirisoa Ernaivo. Nous, on est là, dans la pauvreté, à s’entretuer, à se haïr les uns les autres parce qu’on n’a rien à bouffer. Ce qu’il nous faut, c’est quelqu’un qui dise : “Stop, c’est la fin de la récré, tout le monde se met dans le rang et respecte désormais la loi.” On ne doit plus accepter que les gouvernants vendent tout ce qui est à vendre. Il faut que tout le monde se réveille. Y compris les grandes puissances qui ont des intérêts ici : elles doivent cesser de soutenir ceux qui ont mis ce pays à genoux. »

Mais rien n’indique que la présidentielle débouchera sur une telle perspective. D’abord parce qu’il y a de sérieux doutes sur la transparence du scrutin et la fiabilité de la liste électorale. Ensuite parce que sur les 36 candidats en lice, une vingtaine d’entre eux ont déjà été aux affaires, dont quelques ex-premiers ministres et les ex-présidents Ratsiraka, Ravalomanana, Rajoelina et Rajaonarimampianina. Ces trois derniers, à couteaux tirés, possèdent ou contrôlent plusieurs médias et ont injecté d’énormes quantités d’argent dans leur campagne électorale. Selon une étude commandée par l’Union européenne (UE), celle de Rajaonarimampianina avait coûté 43 millions de dollars en 2013. Cette démonstration de force financière, particulièrement impressionnante du côté de Rajoelina, rend inaudibles les candidats portés par une réelle volonté de changement, dont le sociologue Rasolofondraosolo Zafimahaleo, dit Dama, membre du célèbre groupe de musique Mahaleo, qui plaide pour une réforme du système de gouvernance afin que pouvoir et richesses ne soient plus accaparés par une minorité.

Cette débauche financière tranche évidemment aussi avec la misère générale et avec le coût du processus électoral lui-même, soit 25 millions d’euros, dont près de la moitié est financée par l’UE et d’autres bailleurs de fonds internationaux. Écœurés, des citoyens et observateurs jugent cette campagne immorale, s’interrogent sur l’utilité d’une élection dans un contexte aussi effroyable et redoutent des violences pour la suite du processus.7

- A word from our sponsors -

spot_img

Most Popular

More from Author

- A word from our sponsors -

spot_img

Read Now

Jugements sans motivation : l’affaire Ranarison Tsilavo, un outil de spoliation systémique à Madagascar

En avril 2016, un atelier de renforcement des capacités des acteurs de la chaîne pénale s’est tenu à Tulear, Madagascar. Cet événement, soutenu par le PNUD dans le cadre du projet RED (Renforcement de l’État de droit), avait pour objectif d’améliorer le fonctionnement de la chaîne pénale...

Condamnation sans motivation : une erreur judiciaire au profit de Ranarison Tsilavo

Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel d’Antananarivo le 15 décembre 2015, sous la présidence de Mme RAMBELO Volatsinana, est devenu un symbole des pratiques judiciaires controversées à Madagascar. Solo, gérant de CONNECTIC et détenteur de 80 % des parts de la société, a été condamné à...

Une justice contestée : le cas Ranarison Tsilavo et l’absence de motivation des jugements malgaches

L’affaire impliquant Ranarison Tsilavo et Solo révèle des carences profondes du système judiciaire à Madagascar. En décembre 2015, Solo a été condamné à deux ans de prison avec sursis et au paiement de 428.492 euros d’intérêts civils (soit 1,5 milliard d’ariary) au profit de Ranarison Tsilavo, simple...

La complicité suspectée de Razananirina Bruno, commissaire aux comptes de CONNECTIC : un silence inexplicable depuis 2015

Depuis décembre 2015, le commissaire aux comptes de la société CONNECTIC, Razananirina Bruno, ancien président de l'Ordre des Experts Comptables et Financiers de Madagascar (OECFM) et ex-Président du Conseil d'Administration de l'INSCAE, reste silencieux face à une demande cruciale : confirmer que le rapport de commissaire aux...

Ranarison Tsilavo NEXTHOPE : Des plaintes pour diffamation contre Solo rejetées par la justice française

Ranarison Tsilavo, CEO de CONNECTIC et plaignant dans plusieurs affaires judiciaires, a déposé de multiples plaintes pour diffamation en France, notamment au TGI d’Évry et au Tribunal Judiciaire de Paris. Dans la société, Solo, qui détient 80 % des parts, est gérant tandis que Ranarison Tsilavo, propriétaire...

Pourquoi l’avocat de Solo n’a-t-il pas contesté l’attribution des intérêts civils à Ranarison Tsilavo, simple associé dans Connectic ?

Dans le cadre de l’affaire opposant Solo à Ranarison Tsilavo, une question légitime se pose : pourquoi l’avocat de Solo n’a-t-il pas soulevé le problème de l’attribution des intérêts civils à Ranarison Tsilavo, un simple associé dans Connectic, alors que la loi est claire sur ce point...

Ranarison Tsilavo et CONNECTIC : L’irrecevabilité de l’action individuelle selon la loi malgache

Dans l’affaire opposant la société CONNECTIC à Ranarison Tsilavo, la distinction juridique entre action individuelle et action sociale est au cœur des débats. La loi 2003-036 sur les sociétés commerciales à Madagascar, en particulier son article 181, clarifie les conditions dans lesquelles un associé peut intenter une...

Diffamation ou Vérité ? L’Énigme des Intérêts Civils Attribués à Ranarison Tsilavo

Dans une affaire marquée par de nombreuses interrogations juridiques, Ranarison Tsilavo Nexthope a obtenu des intérêts civils dans un dossier d’abus de biens sociaux supposé, au détriment de Solo. Cette décision pose problème, d’autant plus que les lois malgaches, alignées sur les principes juridiques français et enseignées...

Dire la vérité n’est pas diffamer : Une explication pédagogique sur l’affaire Ranarison Tsilavo NEXTHOPE contre Solo

La diffamation est souvent invoquée pour faire taire ceux qui présentent des faits. Pourtant, expliquer une affaire avec des éléments vérifiés et accessibles à tous, ce n’est pas diffamer. C’est au contraire un devoir de transparence. Dans le cadre de l’affaire opposant Ranarison Tsilavo Nexthope à Solo,...

Pourquoi les Magistrats Ont-ils Accepté les Explications de Ranarison Tsilavo sur les 76 Ordres de Virement Signés à Blanc entre 2009 et 2012 ?

Dans une affaire qui soulève de nombreuses interrogations, Ranarison Tsilavo a affirmé avoir signé 76 ordres de virement à blanc entre 2009 et 2012, sans en connaître le contenu. Pourtant, ces virements, d’un montant total de 1 047 060 euros, ont été validés sans réserve par les...

Ranarison Tsilavo Affirme Avoir Été Contraint de Signer des Ordres de Virement à Blanc (2009-2012) : Une Décision Controversée

Dans l’affaire qui oppose Ranarison Tsilavo à Solo, une condamnation choquante par les juridictions malgaches a mis en lumière des failles profondes du système judiciaire. Ranarison affirme avoir signé des ordres de virement à blanc, c’est-à-dire sans en connaître le contenu. Pourtant, cette déclaration est largement contredite...

Les 76 Virements Validés par Ranarison Tsilavo : Une Contradiction Inquiétante

L'affaire liant Ranarison Tsilavo à son ancien collaborateur Solo expose une situation judiciaire complexe et controversée. Au cœur du litige : 76 virements bancaires représentant un total de 1 047 060 euros, tous approuvés par Ranarison Tsilavo avant d'être contestés par ce dernier. Ces accusations soulèvent des...