La lutte contre l’impunité et l’instauration d’une justice plus équitable constituent des attentes majeures des citoyens. À l’instar d’autres prétendants à la présidence, le candidat Andry Rajoelina avait promis de s’y atteler. Hasard du calendrier des enquêtes en cours ou impulsion délibérée, son arrivée au pouvoir a aussitôt été suivie de la révélation d’une série d’affaires judiciaires.
La première fut l‘arrestation de Ratsiferana Hugues, Directeur Général de l’Agence Malagasy de Développement économique et de Promotion des entreprises (AMDP), pour détournement de biens de l’État. Ce fut ensuite l’arrestation et leplacement sous mandat de dépôt pour fraude fiscale et blanchiment d’argent de Mbola Rajaonah, un autre baron du régime précédent. Puis on apprit le retour à Antanimora de Razaimamonjy Claudine, longtemps placée à la prison de Manjakandriana. Enfin, par le biais des réseaux sociaux, les citoyens ont pu suivre en direct l’arrestation digne d’un film d’action de Maminirina Eddy, opérateur économique cité dans des affaires de trafics de bois de rose, placé en détention préventive à Tsiafahy.
Des cas antérieurement révélés reviennent à la une. L’affaire de la Villa Elisabeth avait agité l’opinion publique et connu un début d’investigation au dernier trimestre 2017. En mars 2019, la vente illicite de cette résidence de la République a entrainé l’incarcération d’un ex-DG des Domaines et de deux autres agents des services fonciers accusés d’avoir facilité la vente de ce domaine public. Dans la foulée, la population a appris avec stupéfaction qu’une partie du jardin d’Antaninarenina a fait l’objet d’une vente, il y a près de 21 ans de cela[1]. Et aussi incroyable que cela puisse être, l’identité de ou des acquéreurs n’a toujours pas été publiée à ce jour ! Cette cession serait passée inaperçue si les acquéreurs n’avaient pas entrepris des démarches pour procéder au morcellement du terrain.
Et le fait d’être incarcéré en attente de jugement n’empêche pas certains individus de rester candidats aux élections législatives, sous prétexte que leur nom ne peut pas être retiré de la liste officielle des candidats, publiée par la CENI !
Ceci étant, il faut espérer que ces inculpations et arrestations ne relèvent pas d’un simple effet d’annonce et ne soient pas motivées par des mobiles politiques, et que les dossiers concernés ne se perdront pas dans les méandres des procédures judiciaires. Il y va de la crédibilité de la justice et du régime lui-même…
Indépendance et intégrité de la justice
De nombreuses juridictions (Pôles Anti-Corruption, Chaine spéciale de lutte contre le trafic de bois de rose et de bois d’ébène, etc.) sont à pied d’œuvre après une laborieuse phase de mise en place. Le BIANCO (Bureau Indépendant Anti-Corruption) a annoncé avoir remis 79 dossiers qui sont en attente d’être traités par cette chaine, alors que les PAC (Pôles Anti-Corruption) ont vu leurs compétences étendues. Mais la multiplication des structures n’est pas la panacée.
Nettoyer les écuries d’Augias exige surtout une justice indépendante. Les magistrats du Parquet resteront soumis aux directives du Ministère de la Justice ; par contre, ceux qui sont appelés à rendre les décisions devront faire preuve de la plus grande indépendance. Les juges, faut-il le rappeler, disposent d’une entière indépendance dans leurs décisions : il leur revient de mettre cette liberté en œuvre sans chercher d’excuses et sans prétexter de pressions qui n’existent que pour autant qu’ils les acceptent. Parallèlement, tout acte de l’exécutif tendant à interférer dans l’issue de ces procès s’apparentera à une volonté d’appliquer la justice des vainqueurs qui est contraire à l’État de droit. Enfin, l’intégrité des magistrats sera également scrutée dans un contexte où le monde de la justice est régulièrement cité en tête du hit-parade des secteurs les plus corrompus.
Quel rôle pour la Haute Cour de Justice (HCJ) ?
Souvent évoquée, la mise en place de la HCJ, destinée à juger les hauts dirigeants, a tardé à se concrétiser[2]. On en connaît les prérogatives[3]. Mais la lenteur de son installation n’est pas le seul obstacle à la fonctionnalité de la HCJ : les procédures qu’elle doit suivre sont compliquées à souhait. Nul ne conteste que, de par sa nature à la fois juridique et politique, la HCJ ne saurait obéir aux procédures de droit commun. Cependant, pour parvenir à une mise en accusation, les innombrables filtres auxquels sont soumises les requêtes se transforment en autant d’opportunités de blocage pour les courtisans zélés ou pour ceux qui, étant encore au pouvoir, veillent à leur impunité. C’est le cas, entre autres, d’un ancien ministre de l’aménagement du territoire qui a reconnu avoir signé « par inadvertance » l’acte de vente de la Villa Elisabeth, appartenant à l’État !
En attendant le fonctionnement effectif de la HCJ, le citoyen est bien obligé de constater qu’il existe une justice à deux vitesses, l’une pour les puissants (Président de la République, chefs d’institutions, parlementaires et membres du gouvernement) et l’autre pour le commun des citoyens. Dans le cadre d’une future révision constitutionnelle, il serait normal et démocratique de supprimer purement et simplement la HCJ. Ainsi les hauts responsables du pays se verront-ils mis sur le même plan que les simples citoyens… ce qui ne serait que justice !
Dans la même logique, les règles relatives à l’immunité parlementaire prévues par l’article 73 de la Constitution gagneraient à être précisées et, surtout, limitées pour qu’elles ne puissent pas être détournées au profit d’un corporatisme malsain. Cette immunité est censée mettre les parlementaires à l’abri des poursuites judiciaires intempestives qui pourraient entraver le libre exercice de leur mandat. En réalité, elle leur permet surtout de se livrer à toutes sortes de trafics avec la certitude de n’être jamais condamné. Quant aux candidats se trouvant en détention préventive et qui seraient prochainement élus députés, seraient-ils libérés au nom de l’immunité parlementaire ?
Des procédures qui n’aboutissent jamais
Une autre réalité scandaleuse touche à la volonté apparemment systématique de la justice de ne jamais remonter jusqu’aux donneurs d’ordre des affaires en cours. Les citoyens ont pourtant le droit de connaître l’identité de ceux qui commanditent les trafics de bois de rose, les vols de bœufs, les constructions illicites, les kidnappings, les vols d’ossements, la vente des terrains publics et toutes les formes de corruption que l’opinion subit de longue date. Il est d’autant plus troublant de constater qu’aucune enquête, aucune mise en examen, aucune détention préventive n’ont encore permis de dévoiler le nom d’un seul commanditaire et bénéficiaire de ces affaires – dont chacun sait par ailleurs qu’ils se dissimulent parmi les « hauts placés ». C’est le cas des 79 dossiers présentés à la chaine anti-corruption, dont personne ne sait ce qu’ils sont devenus et quel sort leur est réservé ! Ces échecs répétés de la justice proviennent incontestablement d’un manque de volonté politique, souvent doublé de corruption.
Pour terminer, on ne saurait passer sous silence l’intolérable injustice dont sont victimes les milliers de personnes en détention provisoire dans nos prisons, dans des conditions infrahumaines. « La détention provisoire est essentiellement utilisée contre des personnes pauvres qui n’ont pas les moyens de payer un avocat pour les faire sortir de prison. Les autorités malgaches ne peuvent pas continuer à maintenir en détention des milliers de personnes n’ayant été reconnues coupables d’aucune infraction[4] ».
Pour le moment, et en dépit des belles déclarations d’intention des responsables politiques, les citoyens attendent toujours, avec une impatience croissante, que soit prononcé la condamnation ou l’acquittement des nombreux inculpés. Car jouer la montre favorise l’impunité, et personne n’est dupe de ce jeu.
Antananarivo, 4 mai 2019
[1]. Délibération du Conseil municipal d’Antananarivo n°14 Bis/98/CUA.
[2]. Pour la première fois depuis l’indépendance, la constitution de 1992 fait mention d’une Haute Cour de Justice. Puis il faudra attendre 2014 pour qu’une loi, prévue par la constitution de 2010, fixe son organisation et la procédure à suivre. Mais la désignation de ses membres et leur prestation de serment ne sont intervenus qu’en mai et juin 2019 !
[3]. Le Président de la République est justiciable devant la Haute Cour de Justice pour les « actes accomplis liés à l’exercice de ses fonctions [qu’] en cas de haute trahison, de violation grave ou de violations répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (Constitution, art. 131). D’autre part, la HCJ est « compétente pour juger les actes accomplis, liés à l’exercice de leurs fonctions, qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis, par les Présidents des Assemblées parlementaires, le Premier Ministre, les autres membres du Gouvernement et le Président de la Haute Cour Constitutionnelle » (Ibid., art. 133).
[4]. « En février 2019, on comptait dans les prisons du pays 14.067 personnes détenues dans l’attente de leur procès (sur un total de 24.928 détenus), soit une nette augmentation par rapport aux 11.703 recensées en octobre 2017. Le nombre de prisonniers et prisonnières en détention provisoire dépasse la capacité d’accueil totale des prisons malgaches, qui est de 10.600 détenus » (Amnesty International pour l’Afrique australe, communiqué de presse du 25 avril 2019).