‘’Nous n’avons eu aucune explication. Ils nous ont juste mis en prison’’.
Celia*, interviewée à la MC d’Antsirabe, août 2017
Celia n’avait que 17 ans quand elle, son mari, deux de ses frères et sa belle-sœur ont été arrêtés et inculpés pour meurtre67. Trois ans et trois mois plus tard, elle attendait toujours son jugement à la MC d’Antsirabe. Elle a déclaré à Amnesty International qu’elle ne comprenait pas ce qu’on lui reprochait.
Comme la plupart des personnes en détention préventive interrogées par Amnesty International, Celia vient d’un milieu pauvre.
‘’Je ne sais pas lire. Nos parents sont très pauvres, ils n’avaient pas les moyens de nous envoyer [à l’école]. » Celia n’avait jamais rencontré d’avocat : « Je n’ai pas d’avocat parce que nous n’avons pas assez d’argent’’
Elle ne pouvait donc pas remettre en cause la légalité de sa détention prolongée et elle se sentait perdue :
‘’Je suis passée six fois devant le tribunal. Deux fois, quand notre mandat de dépôt a expiré, le tribunal nous en a donné un nouveau […] Nous ne comprenons pas de quoi on nous accuse. [Les policiers] nous ont simplement conduits devant le juge sans aucune preuve. Nous sommes tellement tristes que nous ne pouvons rien faire […] Mes parents me manquent beaucoup. Ils ont déjà 70 ans. Ils sont seuls à prendre soin de nous maintenant, tous mes frères sont ici. Alors mes parents s’occupent de la maison et travaillent la terre pour survivre’’
Sont considérées en détention préventive les personnes incarcérées dont le procès n’a pas encore eu lieu ou dont le procès est en cours, mais dont le jugement n’a pas encore été rendu. Contrairement aux condamnés, les personnes placées en détention préventive sont présumées innocentes tant que leur culpabilité n’a pas été prouvée68. Cette distinction leur vaut des droits spéciaux en plus de ceux qui sont applicables à l’ensemble des personnes incarcérées. Elles ont notamment le droit de rencontrer un avocat, gratuitement pour les plus pauvres, d’être jugées dans un délai raisonnable et d’être séparées des condamnés.
Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a clairement précisé que
« la détention des personnes qui attendent de passer en jugement doit être l’exception et non pas la règle. »
La règle est donc que les personnes en attente de jugement soient libérées, à moins qu’un tribunal décide qu’il existe des raisons impérieuses de les maintenir en détention, comme le risque de fuite ou un autre danger, ou encore parce que la présence du suspect est nécessaire pour la suite de l’instruction. Le Comité ajoute qu’« après l’évaluation initiale déterminant que la détention avant jugement est nécessaire, il faut réexaminer périodiquement la mesure pour savoir si elle continue d’être raisonnable et nécessaire, eu égard à d’autres solutions possibles. »
À Madagascar, en octobre 2017, plus de la moitié (55 %) de la population carcérale n’avait pas encore été jugée. Madagascar viole les normes internationales et régionales ainsi que sa propre Constitution en ayant un recours injustifié, excessif et prolongé à la détention préventive, qui bafoue le droit des suspects à la présomption d’innocence et à des conditions de détention dignes et humaines.
La détention préventive excessive nuit à l’état de droit, contribue à la surpopulation carcérale, gaspille les ressources publiques et met en péril la santé et les droits des détenus, de leurs familles et de leur entourage. La détention préventive prolongée bafoue également les autres droits humains des détenus, notamment leur droit à la liberté. Elle affecte en outre leur vie et leurs moyens de subsistance.