Les copies de l’épreuve d’admissibilité au concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature et des greffes (ENMG) emportent à jamais leurs secrets. Constituées de dix-sept pages chacune, il a fallu plusieurs heures aux flammes pour consumer les centaines de kilos de papiers contenant les efforts des candidats.
Ces milliers de copies constituent des preuves dans l’enquête ouverte par le Bureau indépendant anti-corruption (Bianco), suite à une suspicion de trafic d’influence et de corruption.
Le concours d’entrée pour le recrutement d’élèves-magistrats et d’élèves greffiers est régi par une convention tripartite entre l’ENMG, le Bianco et le ministère de la Fonction publique, de la réforme de l’administration, du travail et des lois sociales (MFPRATLS).
Pour la transparence et la sincérité du concours et des résultats, les copies à l’issue de l’épreuve d’admissibilité ont été scellées dans les locaux de l’ENMG. Elles ont été stockées dans quatre salles, chaque porte verrouillée par trois cadenas différents jusqu’au jour de la correction. Les clés sont détenues respectivement par l’ENMG, le Bianco ainsi que le MFPRATLS. Lors du constat d’un huissier mobilisé par le Bianco, les scellés ont été brisés et chaque porte n’a plus été verrouillée que par un seul cadenas.
Hier matin, selon une source qui a tenu à garder l’anonymat, un ministre accompagné de son staff et d’un huissier se seraient rendus sur place pour ordonner la destruction de ces copies. Brisant les scellés, les épreuves des candidats ont été sorties dans la cour pour être brûlées. Alertés par une source anonyme, les agents du Bianco se sont rendus sur place pour vérifier. Lors de notre passage dans les locaux de l’ENMG, le brasier était encore fumant, et aucun responsable n’a été aperçu.
Trafic d’influence
L’avis de concours a été lancé le 25 septembre 2017 pour le recrutement de quatre-vingts élèves magistrats de la filière judiciaire, administrative, financière ainsi que cent cinquante élèves greffiers. Divisée en épreuves d’admissibilité et d’admission, la présélection s’est déroulée les 6 et 7 février.
Quelques jours plus tard, la Commission nationale des droits de l’Homme (CNIDH) aurait reçu des doléances révélant des suspicions de corruption et de trafic d’influence, et a demandé l’annulation du concours. Saisi par l’affaire, le Bianco réitère cette demande d’annulation et a ouvert une enquête. Le Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM) a également émis un avis dans ce sens.
Ainsi, la ministre de la Justice Alexandrine Elise Rasolo, lors d’une conférence de presse le 22 février à Faravohitra, indique que sont annulées les épreuves de présélection du 6 fevrier 2018 pour les candidats au concours de recrutement des élèves-magistrats et les épreuves d’admissibilité du 7 février 2018 pour les candidats au concours de recrutement des élève-greffiers.
Andry Rialintsalama
Preuves matérielles. Toutefois, grande fut la surprise du Bianco d’apprendre que la ministre de la Justice – accompagnée du DG de l’ENMG – a choisi la Journée de la Femme pour effectuer avant-hier une descente à Tsaralalàna pour ordonner la levée des scellés posée par le Bianco et l’incinération des copies du premier concours. Sans aller jusqu’à parler de destruction ou de dissimulation de preuves matérielles, ni de modification de l’état des lieux d’un délit, le Bianco de déplorer que l’opération d’avant-hier n’est pas de nature à faciliter ses investigations. Ambohibao se défend aussi de suspecter Faravohitra de vouloir faire obstacle à la manifestation de la vérité, quand bien même, il n’y aurait pas de fumée sans feu. Sur les copies s’entend.
Midi madagasikara du 10 mars 2018